Episode 6 – La Révolte des Tentes en Israël (2011)
Parmi les mouvements apparus après la crise de 2008, la Révolte des Tentes en Israël a souvent été négligée dans les analyses du courant communisateur. En fait, à l’exception de ce qu’en ont dit les journaux pendant quelques jours, personne n’en sait grand-chose, et il n’y a pratiquement pas d’analyses communistes sur le sujet. À l’opposé, d’autres mouvements plus modestes ont fait couler beaucoup d’encre. Des mouvements portés exclusivement par la classe moyenne salariée, mais moins massifs – Occupy, Indignés, etc. – ont donné lieu à quelques analyses dans le « milieu », tandis que sur Israel il n’y rien du tout. Cela nous incite à essayer de reconstruire le contexte, le déroulement, la composition sociale et les enjeux de ce mouvement.
1 – Le contexte
En 2011 le contexte socio-économique israélien est assez particulier, car apparemment le pays a été peu touché par la crise de 2008. Depuis cette date, Israël n’a pas connu de plans d’austérité, le taux de chômage n’a pas explosé, le secteur bancaire est considéré comme très solide, etc. La crise s’est fait sentir immédiatement mais de façon limitée, notamment sous la forme d’un ralentissement de la croissance. La cause principale de ce ralentissement est la baisse des exportations, qui représentent 40% du PNB israélien. Cette baisse entraînée par la crise de 2008 a été considérable, mais aussi assez brève. Grosso modo, elle correspond à l’évolution du commerce mondial.
Tab.1 : volume des exportations israéliennes 2000-2017 (en million de $)
Récemment, de nouveaux gisements de pétrole et gaz ont été découverts, ce qui contribue à alimenter un certain optimisme concernant l’avenir de l’économie israélienne. Alors, le lait et le miel ruissellent-ils dans la Terre Promise ? Pas tout à fait.
Selon l’Étude économique sur Israël de l’OCDE (2016), Israël est le pays membre avec le plus de pauvres (21% de la population israélienne vit en dessous du seuil de pauvreté) et le troisième pays membre avec les plus grands différentiels de salaire. C’est aussi un pays où les écarts de salaire entre les hommes et les femmes sont très importants (22%), et où la population active salariée est moins nombreuse et travaille plus (40-45 heures par semaine) que la moyenne dans les pays occidentaux.
En outre, les salaires réels – prolétaires et classe moyenne salariée confondus – ne sont pas très élevés, et stagnent depuis au moins 10 ans1. Ils ont pendant longtemps évolué en rapport avec la productivité, mais depuis le début des années 2000 salaires et productivité ont divergé. Entre 2001 et 2015 la productivité individuelle a augmenté de 15%, tandis que les salaires réels sont restés plus ou moins au même niveau. L’afflux de main d’oeuvre palestinienne est parfois invoqué comme l’explication d’une telle stagnation. Selon certaines estimations, 120.000 palestiniens de Cisjordanie – économies formelle et informelle confondues – travailleraient de façon plus ou moins stable en Israël. Bien que la concurrence entre travailleurs existe bel et bien, ce n’est pas là la cause principale, qui réside en réalité dans l’augmentation des prix de la nourriture et du logement.
La montée des prix dans le secteur agroalimentaire est due au manque de concurrence. Deux monopoles dominent et se répartissent le marché. Malgré les réformes néo-libérales, des enclaves de l’ancien capitalisme monopoliste d’État subsistent. « Des industries très dynamiques, tournées vers l’exportation coexistent, dans des proportions inhabituelles, avec un secteur protégé inefficace qui pénalise la performance économique globale […] l’écart d’efficience avec les secteurs exposés est en effet plus prononcé que pour la moyenne de l’OCDE. » (OCDE, op. cit., pp. 2 et 23). En 2005, les prix de l’alimentation étaient de 16% inférieurs à la moyenne de l’OCDE. En 2008, ils leur étaient de 16% supérieurs. Des obstacles non tarifaires aux importations (certification casher, etc.) contribuent à protéger le marché intérieur des importations bon marché. Cette situation ne se limite pas à l’agroalimentaire. Le secteur bancaire fonctionne de manière analogue, avec deux banques couvrant 57% du marché et peu de propension à l’innovation technologique (services en ligne, etc.).
L’évolution des prix dans le secteur de l’immobilier va jouer un rôle important dans le mouvement de l’été 2011. Après une baisse au début des années 2000, les prix ont augmenté de 12% par an entre fin 2007 et 2010. On peut parler de bulle immobilière. La cause immédiate est à chercher dans le ralentissement de la construction. Mais il faut préciser que le gouvernement (qui possède 93% du foncier) n’est pas intervenu pour l’éviter, soit pour favoriser les spéculateurs, soit pour pousser la population urbaine des centre-villes vers les colonies. La crise du logement est d’autant plus aiguë que tout concourt au manque de mobilité de la population. En 2005, les voitures coutaient 46% de plus en Israël que dans l’OCDE. L’écart est passé à 70% en 2008. Cela serait notamment dû à l’existence d’un oligopole des importateurs de véhicules. On comprend qu’il y ait deux fois moins de voitures par habitant en Israël que la moyenne de l’OCDE. Cependant les embouteillages y sont plus massifs. Car le manque d’infrastructures pour le transport individuel et de réseaux de transport en commun est flagrant. À cela s’ajoute, dans les quatre villes universitaires, une pénurie importante de logements étudiants2. Ces quelques observations permettent de conclure que même si Israël est un pays réputé pour ses technologies de pointe, le mécanisme de la plus-value relative y connait de sérieuses entraves (monopoles, tarif douanier, régime foncier, banques, transports). Cela contribue à expliquer que les salaires restent relativement bas.
De même que dans les autres aires centrales de l’accumulation, la CMS est nombreuse en Israël. En raison de l’importance des branches hi-tech, c’est le pays du monde qui a proportionnellement le plus d’ingénieurs. La classe moyenne du secteur public est importante aussi. Elle est traditionnellement liée au parti travailliste – marginalisé du point de vue politique mais encore bien installé dans les monopoles traditionnellement liés à l’État – et au « syndicat » Histadrout. Les guillemets sont ici de rigueur, car ce dernier est surtout un fournisseur d’assurances sociales et autres services, regroupant salariés et non-salariés (clergé, professions libérales, pharmaciens, etc.)3. Au cours des années 1950 et 1960, ces organisations ont joué un rôle-clé dans la création de la CMS israélienne, y compris au niveau du logement, combinant un vaste parc de logements sociaux avec une sorte d’actionnariat locatif visant à favoriser les habitants les plus anciennement installés.
On sait que l’ouverture de l’économie israélienne au cycle mondial s’est faite plutôt en douceur : les réformes n’ont pas rencontré de résistance significative. Les aléas du conflit israélo-palestinien et les autres guerres peuvent expliquer, au moins en partie, ce manque de résistance. Mais surtout, comme on vient de le voir, cette ouverture est restée dans certaines limites. Au moment de l’entrée en crise du fordisme, c’est plus l’essor des exportations que la libéralisation de l’économie qui a permit de redresser le cours très négatif de la balance commerciale israélienne – passée de +2,6 en 1962 à -34,6 en 1975. De la sorte, la CMS pouvait voir son avenir de façon globalement optimiste. Pendant les années 1980-90, son niveau de vie s’est considérablement amélioré, et la privatisation de l’enseignement et d’une partie des entreprises d’État ne l’a pas spécialement troublée. Mais la bulle immobilière qui s’est développée depuis 2008-2009 a changé la donne. Les enfants de la CMS ont commencé à rencontrer de sérieuses difficultés pour se loger au même niveau de confort que leurs parents. La crise – y compris l’évolution politique et sociale dans l’environnement immédiat d’Israël (Egypte, Syrie, etc.) – n’a rien arrangé.
Certes, la montée des prix dans le secteur du logement ne concerne pas uniquement la CMS. Le prolétariat y est exposé aussi. Mais pas de la même manière.Le prolétariat, lui aussi, lutte parfois au niveau des prix, mais quand cela arrive il ne s’agit généralement pas du prix du logement. L’expérience semble montrer que, à de rares exceptions près (autoréductions dans l’Italie des années 1970, etc.), il n’y a pas de luttes prolétariennes au niveau des loyers. Les luttes des squats et des bidonvilles ne portent pas sur le niveau des loyers, mais sur l’existence même de ces formes de logement. A l’opposé, la Révolte des Tentes de 2011 montre que la CMS est susceptible de se mobiliser sur la question du logement lorsque la poursuite de la « gentrification » la menace trop.
2 – Le mouvement
2.1 – Essor et déclin
Le mouvement est précédé, au printemps 2011, par des campagnes de sensibilisation contre la vie chère se déroulant principalement sur internet. Le 14 juillet, Daphni Leef, une jeune vidéaste free-lance qui avait dû quitter son appartement suite à une rénovation qui avait fait grimper son loyer, s’installe avec sa tente sur le très chic boulevard Rothschild, dans le centre-ville de Tel-Aviv. Malgré ses 25 ans, Leef, qui vient d’une bonne famille, avait déjà une petite renommée, puisqu’elle avait fait mine de refuser la conscription (en réalité elle sera reformée pour des raisons médicales)4. Elle fait connaître son initiative sur les réseaux sociaux, et des amis aussi bien que des inconnus la rejoignent et s’installent avec elle sur les espaces verts au bord du boulevard. Très rapidement, d’autres campements surgissent, en dehors de Tel-Aviv également. Le lendemain soir, 60 campements existent déjà dans les plus importantes villes du pays. Le 16 juillet le syndicat des étudiants, mené par Itzik Shmuli, s’y associe. Le mouvement prend de l’ampleur, et suscite l’intérêt et la sympathie des médias. Au campement de boulevard Rothschild, on passe de 50 à 400 tentes en deux semaines. Les occupants des places et des boulevards organisent de façon démocratique et horizontale une vie collective :
« Le milieu des tentes a engendré différents services et activités, comme des cuisines communes, des centres de soins alternatifs, des bibliothèques mobiles et des théâtres de rue, et beaucoup d’espaces ouverts qui ont hébergé des débats, des conférences et des rendez-vous culturels ». (Shulamit Almog et Gad Barzilai, Social protest and the absence of legalistic discourse : in the quest for a new language of dissent, 2014)
En cela, ils s’inspirent du mouvement espagnol 15M5 (Occupy n’existe pas encore), mais pas seulement. Certains activistes situent leur mouvement dans la vague des Printemps arabes et, malgré l’absence de connections avec le mouvement égyptien, proposent de rebaptiser « Rothschild-Tahrir » le boulevard Rothschild. D’autres affirment s’inspirer des campements Hooverville des années 1930 aux USA (nous y reviendrons). Des manifestations sont organisées et la population est appelée à les rejoindre. Les grandes manifestations – une demi-douzaine en tout – ont généralement lieu chaque semaine le samedi soir, de façon que « tout le monde » puisse participer. La progression du nombre de manifestants est constante au cours du premier mois : 20.000 personnes samedi 23 juillet à Tel Aviv, entre 100.000 et 150.000 le 30 juillet, 300.000 le 6 août. Elle connait un coup d’arrêt au milieu du mois : 75.000 manifestants dans tout le pays le 13 août, 13.000 le 27 août – mais rebondit et culmine avec la grande manifestation du 3 septembre (350.000 personnes à Tel Aviv, 60.000 à Jerusalem et 50.000 dans le reste du pays). Beaucoup d’autres manifestations, plus petites, agitent la deuxième moitié de juillet. A ce moment-là, l’initiative quotidienne revient aux étudiants. Ce sont eux qui font grossir le campement du boulevard Rothschild. À Jerusalem, ce sont eux qui installent le premier campement le 19 juillet. Ce sont eux qui pratiquent les blocages d’avenues et de rond-points à Tel-Aviv, souvent à la fin des grandes manifestations, parfois de manière autonome (19 juillet, à coté du Ministère de la Défense ; 25 juillet, à Haifa aussi). Le 24 juillet, une manifestation de 1000 personnes allant vers la Knesset s’arrête en chemin près de la résidence privée de Benjamin Netanyahu. Le lendemain, quelques milliers de personnes se retrouvent au même endroit. Cette pratique sera répétée à plusieurs reprises.
Le 26 juillet Netanyahu présente ses propositions pour négocier le retour à la normale : il promet un programme public prévoyant la construction de 50.000 nouveaux appartements, une réduction de 50% sur le prix des baux6 pour les entreprises construisant des logements pas chers, 10.000 nouvelles places dans des cités étudiantes et 50% de réduction sur les transports publics pour les étudiants vivant en dehors des centre-villes. Les réactions sont contrastées. Le mouvement se divise en une tendance « idéaliste » (Leef et cie), réfractaire à l’idée de négocier avec le gouvernement, et une tendance étudiante réaliste qui est favorable à une négociation et salue les propositions de Netanyahu. Elle considère cependant qu’il faut penser aussi à ceux qui ne sont pas étudiants. Itzik Shmuli tient pour « historique » et « sans précédents » le paquet que le Premier Ministre a mis sur la table pour les étudiants… « mais je regarde à ma gauche et à ma droite, et je vois que je ne suis pas seul dans ce combat »7. Les propositions sont donc rejetées et le combat va se poursuivre. 27 juillet : nouvelles manifestations étudiantes ; à Jerusalem, un groupe de 150 étudiants et activistes se dirigent en manif sauvage vers un appartement vide de propriété de la famille Netanyahu, annonçant vouloir « le mettre en vente ».
Entretemps, le Histadrout hésite à rejoindre le mouvement (ce qu’il ne fera pas finalement). Désormais, au moins 25 villes connaissent des campements bien établis. Une campagne de boycott contre le cottage cheese est reprise, afin de dénoncer la hausse des prix des produits laitiers. Entre fin juillet et début août, des « marches des poussettes » sont organisées par des parents pour revendiquer la baisse des frais d’inscription à l’école (y compris maternelle) et des prix des produits pour la petite enfance. Des assemblées et des manifs commencent à s’organiser dans quelques villes arabes: Nazareth, Umm-el-Fahem, Tira, Jaffa. Un campement de tentes apparaît à Baqa Al-Gharbiyye (deux parlementaires arabes soutiennent l’initiative). En général, on a donc l’impression que le mouvement est en train franchir un cap, de se décentraliser, et d’élargir son champ d’action à des questions de reproduction immédiate. C’est une illusion. En fait, tout se conjugue pour que cet élargissement ne se produise pas, à commencer par le calendrier. Après le 6 août, les manifestations s’affaiblissent nettement à cause de la pause estivale. Ceci donne plus de visibilité à des initiatives pourtant nettement moins massives. Les « marches des poussettes » ne rassemblent que 6000 personnes le 28 juillet et 1000 le 4 août dans tout le pays, quelques centaines de personnes à Jerusalem le 31 juillet, et 1300 en total entre Karmiel, Giv’atayim et Pardes Hannah-Karkur le 7 août. Le 2 août, un cortège d’une centaine de personnes se forme à proximité du campement du square Lewinsky (voir plus loin) dans la banlieue sud de Tel-Aviv. Le 9 août à Jerusalem, une « marche des torches » (200 personnes) se dirige vers la résidence de Netanyahu pour protester contre la hausse de 10% du prix de l’électricité décidée par le gouvernement. Le 10 août, dans un quartier arabe de Haifa, se tient une marche de 200 personnes qui scandent « le peuple veut la justice sociale » en arabe. Le même jour : à Jerusalem, 250 personnes protestent contre l’état des transports publics ; à Bat Yam, une marche de quelques centaines de résidents qui manifestent contre la pénurie de logements accessibles finit en affrontements avec la police ; à Holon, la tentative de démantèlement d’un bidonville suscite la réaction des habitants, qui bloquent des rues en scandant « le peuple veut des logements sociaux ». Au milieu du mois d’août, cette vague de petites manifs revendicatives – où il est parfois difficile de distinguer ce qui relève de l’action spontanée portant sur des objectifs immédiats de ce qui relève du volontarisme militant – est pratiquement épuisée. Le soir du samedi 13 août, les manifestations les plus nombreuses sont à Beer-Sheva (20.000) et Haifa (25.000). Le 16, quelques dizaines d’activistes tentent sans succès une irruption à la Knesset. Le 22 août, la bande de Daphni Leef se lance dans une action « exemplaire », censée être reprise par d’autres groupes: occuper un immeuble vide à Tel-Aviv. Au bout de vingt-quatre heures, la police est déjà là pour déloger les occupants. D’autres, toujours à Tel-Aviv, tentent de nouveau le coup quatre jour plus tard, encore une fois sans succès, et sans que l’exemple soit suivi.
Revenons en arrière. Après la grande manifestation de samedi 6 août, Netanyahu tente de nouveau la carte de la négociation. Le 8 août il met en place la commission Trajtenberg, comprenant plusieurs ministres du gouvernement. Manuel Trajetenberg, président du Conseil Économique National à l’époque du gouvernement Olmert, avait participé aux premières manifestations de l’été; il est connu pour son passé dans la mouvance socialo-sioniste. La commission doit répondre à la revendication d’une plus grande « justice sociale » portée par le mouvement, tout en restant dans les limites déjà fixées du budget national. Elle se donne 60 jours pour établir une liste de recommandations pour l’action gouvernementale, et se dit prête à collaborer avec des représentants de la Révolte. La division en tendances qui s’était révélée le 26 juillet, lors des premières propositions de Netanyahu, va alors s’approfondir, puisque le syndicat des étudiants accepte l’invitation. Du côté de la tendance anti-négociation, se forme une contre-commission de profs de fac de l’Université Ben-Gourion, censée faire contre-poids à la commission officielle. Au bout de deux mois, la commission Trajtenberg présente son rapport. Elle recommande au gouvernement une réduction du budget accordé au Ministère de la Défense, une réduction des impôts qui pèsent sur les classes moyennes, ainsi qu’une augmentation des dépenses pour l’instruction et les aides sociales. Mais elle ne se prononce pas sur des sujets cruciaux comme le coût des subventions accordées aux colonies et aux communautés Haredim. Le contenu du rapport n’étant pas contraignant, le gouvernement intégrera quelques-unes de ses recommandations « sociales », sans pour autant toucher au budget de la Défense.
Reprenons la chronologie. Le 27 août il y a une nouvelle manifestation du samedi soir. Pour constater que le mouvement n’est pas mort, il faudra attendre le samedi suivant, le 3 septembre, « la marche du million » (…qui n’en est pas un : 450.000 manifestants à travers le pays). Les organisateurs considèrent qu’ils ont fait la démonstration de force qu’il fallait face au gouvernement. En outre c’est la rentrée, il faut que les étudiants retournent en cours. Les 6 et 7 septembre commence le démantèlement des campements. Dans l’ensemble, à l’échelle du pays, les démantèlements se déroulent de manière plutôt pacifique. Ce n’est qu’à Tel-Aviv que les jeunes des campements choisissent de résister : manifestations violentes, 30 arrestations. Le 27 septembre, pendant une conférence de presse, les leaders rappellent à Netanyahu son engagement à fournir des réponses concrètes (commission Trajtenberg). Ils menacent de redescendre massivement dans les rues. Le 3 octobre le campement boulevard Rothschild est démantelé par la police, sans résistance apparemment. Le 29 octobre il y aura la dernière manifestation (70.000 participants à Tel-Aviv).
2.2 – Aspects du mouvement
Il y a dans la Révolte des Tentes un élément que nous avons déjà rencontré ailleurs, à savoir l’adoption par la CMS de formes de luttes qui évoquent des pratiques liées à l’histoire du mouvement ouvrier traditionnel :
« Le recours aux campements pour protester a été décrit par les leaders comme ayant été inspiré par les bidonvilles dits Hooverville de Central Park, à New York, et d’autres localités des États-Unis, où des américains ont habité pendant la Grande Dépression. ». (Almog & Barzilai, op. cit., p. 12, note 13)
La référence aux Hoovervilles est complètement excessive. Les difficultés de logement de la CMS israélienne n’ont rien à voir avec le dénuement des populations expulsées de leur domicile et lancées sur les routes des Etats-Unis au moment de la crise de 1929. Mais c’est l’une des occurrences où la révolte des tentes se prend pour « le peuple », voire pour le nouveau mouvement ouvrier. Ainsi, vers la fin du mouvement, une brochure commence à circuler dans les campements, Les chansons de la révolution : poésie depuis les tentes, qui rassemble les morceaux composés et chantés pendant l’été. Ce n’est pas Le temps des cerises ou l’Internationale, mais on sent tout de même l’écho d’une certaine « culture ouvrière » de jadis. Au-delà de ces aspects culturels, fin juillet une campagne Facebook lance l’appel – restée sans suite – pour une journée de grève générale, incitant les « citoyens » à « boycotter » leur boulot.
Ces références au mouvement ouvrier sont invalidées par l’absence de revendications économiques précises. La Révolte des Tentes fait grand cas de la « justice sociale », mais le rassemblement qu’elle recherche est si consensuel que toute revendication économique claire est généralement rejetée, de peur de diviser. On se contente d’une nostalgie pour l’État-providence, pour les « valeurs qui ont guidé les pères fondateurs de l’État juif »8, et d’un appel pour un nouveau sionisme qui signifierait leur retour. Seules les marches des poussettes disent à peu près clairement ce qu’elles veulent (une baisse des frais scolaires et des impôts). Pour le reste, c’est au gouvernement de déchiffrer les platitudes des porte-paroles du mouvement. C’est entre autres le rôle de la commission Trajtenberg. Soit dit en passant, la position incarnée par Daphni Leef ne va pas sans rappeler de près le slogan « nous ne revendiquons rien ! » de Nuit Debout dans le mouvement français de 2016. Mais quel est le contenu de ce jusqu’au-boutisme apparent? Il est plutôt vague. « Si vous demandez la justice sociale, ça se négocie pas » dit Leef dans un entretien (« Daphni la rouge », icône de la révolte sociale israélienne, « Le Monde », 27/10/2011). On voudrait des précisions, mais elle en reste à des généralités : « Il faut créer un véritable budget social […] Il faut se poser la question de savoir dans quel pays nous voulons vivre dans trente ans. Il faut envisager des changements du haut en bas de la pyramide, un autre capitalisme » (ibid.).
Une autre division apparaît au cours du mouvement. En dehors de Tel Aviv, et notamment dans des villes périphériques comme Beer-Sheva, Kiryat Shmona, les campements ne sont pas l’élément dominant du mouvement. Celui-ci se structure plus autour des assemblées que des campements. Les assemblées contestent le monopole médiatique de la Rothschild leadership. Leurs participants la traitent comme une expression de la « bourgeoisie ashkénaze », et critiquent son dirigisme. Ils considèrent qu’au boulevard Rothschild le débat démocratique n’est qu’un faux semblant. Voici quelques propos recueillis à l’assemblée de Kiryat Shmona :
« L’assemblée est le cœur du mouvement […] Chaque personne qui est passée au campement est entrée dans l’assemblée, qui était caractérisée par une culture de la parole, de l’attention, de la retenue et de l’ouverture à l’opinion des autres […] Rothschild est un endroit vraiment peu accueillant pour les assemblées ». (Gaby Wineroth, cité par Almog et Barzilai, op. cit.).
« L’assemblée n’est pas hiérarchique. On essaie d’atteindre un consensus sur certaines décisions. La liberté d’expression est garantie à tout le monde. C’est ce qui manque, à mon avis, dans le centre. Là-bas, l’assemblée est utilisée surtout pour se défouler. Ils ne font que vomir des mots… peut-être qu’ils commenceront à s’écouter, un de ces quatre ». (Keren Kastenband, ibid.)
L’apparition de cette fraction pro-assemblée, qui présente une composition plutôt mixte séfarade-ashkenaze, ne doit pas faire illusion sur l’existence d’un courant « radical ». C’est le propre de ces mouvements qui érigent la démocratie directe en principe absolu d’être constamment insatisfaits d’eux-mêmes, car jamais « assez » démocratiques. D’une part, quels que soient les procédés formels adoptés dans les discussions et les prises de décisions afin de permettre l’expression de « tous » (temps de parole, alternance homme/femme, langage des signes remplaçant les applaudissements et le vote à main levée, etc.), l’inégalité réelle des individus dans la maîtrise de l’abstraction et de la parole ainsi que la composition effective des assemblées – tant par les présents que par les absents – ne peuvent que s’imposer en dernière instance. La seule manière de se mettre en adéquation avec l’objectif d’une expression totalement égalitaire serait alors le « one (wo)man, one vote » de l’isoloir, pourtant rejeté. D’autre part, ces mouvements n’évoluent pas dans le vide. Aussi a-politiques qu’ils se veuillent, la question de leur représentation politique et médiatique doit se poser à un moment ou à un autre, même malgré eux, et il est normal que le système politique et les médias sélectionnent les interlocuteurs qui leurs conviennent. La méfiance des assemblées des villes périphériques envers la direction de Tel-Aviv s’explique tout d’abord par le fait qu’elles n’arrivent pas à franchir le mur médiatique. On a vu que les médias – y compris des journaux libéraux comme Haaretz – ne sont pas hostiles au mouvement. Mais les campements de Tel-Aviv – ville-monde s’il y en a une en Israël – sont forcement mieux fournis en chargés de com9 . Il est donc normal que les uns et les autres fassent bon ménage.
Les pratiques de lutte de la Révolte des Tentes présentent nombre de ressemblances avec les mouvements d’occupation de places qui ont eu lieu dans les pays développés (Indignés en Espagne et en Grèce, Occupy aux USA, umbrella’s revolution à Hong Kong, Nuit Debout en France), notamment en ce qui concerne l’usage massif des réseaux sociaux, l’occupation permanente d’aires urbaines, les marches, etc. Même si la Révolte n’est pas souvent citée, la précocité de cet épisode dans la vague de ces mouvements indique qu’elle ne s’est pas limitée à reprendre des pratiques déjà rodées : elle a contribué à les inventer. Il n’y a là rien d’étonnant. Les pratiques en question sont l’expression pour ainsi dire normale d’une classe qui lutte pour se reproduire en tant que telle, et qui pour cela doit s’affirmer contre les autres. Toute classe sociale, révolutionnaire ou pas, ascendante ou pas, fait preuve de son existence par des pratiques de lutte spécifiques qui découlent de sa place dans la formation sociale. La CMS a ses pratiques aussi (manifestations, occupations de place, expressions culturelles…)10. Leur ressemblance avec celle du mouvement ouvrier traditionnel vient du fait qu’elle doit s’affirmer comme classe salariée. Depuis la fin des années 1970, la CMS n’était pas apparue dans l’espace social aussi souvent, aussi massivement, et de façon aussi indépendante que comme dans les mouvements que nous étudions dans ce feuilleton. Par leur caractère général et massif, les mouvements récents de la CMS donnent une mesure de l’attaque qu’elle subit mondialement de la part du capital – ce qui est aussi un indicateur de la raréfaction mondiale de la plus-value.
Les raisons qui amènent les commentateurs à délaisser la Révolte des Tentes ne sont peut-être pas innocentes, puisque dans le cas israélien de 2011, la nature non-prolétarienne du mouvement est encore plus évidente que dans d’autres cas. En outre, on sait qu’en règle générale Israël n’a pas bonne presse à gauche ; un mouvement social israélien qui ne dit rien sur le « néo-colonialisme » de son pays ne rentre pas dans les critères du politically correct gauchiste. À la fin de l’été 2011, la vieille crapule Daniel Cohn-Bendit s’est rendue en Israël pour y faire des conférences ; il en a profité pour essayer de convaincre les leaders de la Révolte de prendre position sur l’occupation des territoires palestiniens. Vainement. Et les Anarchists against the wall, qui tentèrent de s’installer avec des tentes boulevard Rothschild « furent dénoncés vocalement par d’autres participants pour leur volonté d’introduire un agenda explicitement anti-occupation dans le mouvement, et durent bientôt déménager vers le camp du square Lewinsky ». (Gordon, op. cit., p. 352). Ce campement situé dans le sud de Tel-Aviv s’était formé une semaine après celui de boulevard Rothschild, mais des demandeurs d’asile éthiopiens dormaient déjà avant dans ce square.
Pourquoi le prolétariat n’est-il pas intervenu en tant que tel dans le mouvement ? Nous avons vu que certaines conditions auraient pu l’entraîner dans la lutte, le renchérissement des produits de base notamment. On aurait alors vu une configuration interclassiste avec les deux classes – CMS et prolétariat – luttant en parallèle, chacune avec ses moyens et ses objectifs propres. À la place, on a eu au mieux quelques groupes de prolétaires exploitant la brèche ouverte par la CMS pour présenter des revendications de caractère local dans telle ou telle ville (transports publics, logements sociaux, etc.) ou participant au mouvement à titre individuel. Pourquoi les choses ne se sont-elles pas passées autrement ? Le prolétariat israélien aurait-il « adhéré par procuration », laissant la CMS se battre en espérant profiter du résultat ? On a vu une procuration semblable dans le cas du mouvement de 1995 en France, entre secteur public et secteur privé. Un tel cas de figure semble envisageable si l’on se réfère aux sondages de la presse israélienne, présentant la grande majorité de la population comme favorable au mouvement. On sait cependant ce que valent les sondages. Ce type de narration médiatique ne peut que convenir à la CMS dans ses prétentions à mettre en scène une totalité non divisée : le peuple. Regev Contes, autre membre de la Rothschild Leadership, le dit à sa façon dans un entretien : « Nous éprouvâmes une profonde aversion pour tout ce qui puait les vieux conflits… ». On ne sait pas dans quelle mesure la lutte de classe fait partie de ces vieux conflits.
Quoi qu’il en soit, l’absence du prolétariat dans la Révolte des Tentes ne doit pas surprendre. Pour l’instant, et mis à part des grèves ponctuelles et locales, les clivages inhérents à la segmentation de la force de travail autour de facteurs ethniques, nationaux et religieux ont limité toute initiative prolétarienne d’ampleur à des enjeux juridico-politiques (citoyenneté, anti-racisme, etc.). Le mouvement de 2015 des juifs-éthiopiens contre le racisme institutionnel et quotidien en constitue une illustration a posteriori11.
2.3 – Composition sociale et segmentations sub-nationales
Malgré ses aspirations unanimistes, la Révolte des Tentes n’a pas échappé aux clivages ethniques/religieux qui traversent la société israélienne et la classe moyenne elle-même. On sait que la société israélienne présente une composition multi-ethnique en raison des différentes vagues d’immigration. Outre les ashkénazes et les séfarades, les groupes les plus nombreux sont les juifs ultra-orthodoxes, les immigrés russes et les arabes. La répartition de ces groupes ethniques-nationaux à l’intérieur des différentes classes est très inégale. Les ashkénazes sont le groupe le plus important en terme de revenus et de pouvoir politique, tandis que les trois dernier groupes sont plutôt pauvres. Néanmoins, selon Rosenhek et Shalev12, « la division ethnique traditionnelle entre les juifs d’Israël est moins pertinente aujourd’hui que par le passé dans la détermination des possibilités pour des jeunes adultes d’entrer dans la classe moyenne » (p.7). Comme on le sait, ce n’est pas parce que la société israélienne deviendrait plus égalitaire (c’est plutôt le contraire), mais parce le « plafond de verre » s’est déplacé sur d’autres groupes au fur et à mesure que de nouvelles vagues d’immigration venaient grossir les couches inférieures de la société. Ceci ne veut pas dire qu’il n’y ait pas de classe moyenne d’origine russe, par exemple, mais c’est un segment plus étroit du point de vue sociologique qui a dû se construire des circuits d’ascension sociale propres. Arrivés pour la plupart après la chute de l’URSS, étrangers au sionisme historique ashkénaze, souvent opposés à tout idée de compromis avec les palestiniens et plutôt favorables à l’installation dans les colonies, les immigrés russes vivent de façon plus communautaire13.
Concernant les classes moyennes arabes, Rosenhek et Shalev remarquent :
« Alors que les citoyens d’origine arabe-palestinienne (un cinquième de la population israélienne totale) sont généralement favorables à la réduction des inégalités et à la réhabilitation de l’État-providence, ils semblent avoir (assez justement) perçu la protestation comme une affaire strictement juive […] De plus, en raison de la position spécifique propre aux citoyens d’origine arabe-palestinienne dans l’économie israélienne, les dynamiques générationnelles et de classe sont différents de celles de la population juive. Leurs problèmes de logement sont assez différents […] et un segment croissant des jeunes générations a réussi une ascension inter-générationnelle par l’instruction universitaire et l’initiative entrepreneuriale». (Rosenhek & Shalev, op. cit., p. 7).
La CMS appartenant aux groupes sub-nationaux dominants est celle qui s’est investie le plus massivement dans la Révolte des Tentes, car ses positions acquises sont les plus élevées et en même temps celles qui connaissent la dégradation plus visible d’une génération à l’autre. Les animateurs du mouvement seraient donc
« […] les enfants de la libéralisation de l’économie israélienne. Ils ont grandi dans des familles de la classe moyenne, voire de la classe moyenne supérieure, au cours des années 1990 et 2000, au moment où la grande partie de cette classe vivait une amélioration significative de son niveau de vie, avec des niveaux de consommation nouveaux pour Israël. Leurs parents ont été les principaux bénéficiaires de la libéralisation de l’économie israélienne, et ceci a façonné l’expérience des enfants, comme segment de classe et comme fraction générationnelle. Cependant, arrivés depuis peu à l’âge adulte, ils se sont retrouvés dans une situation où la reproduction du train de vie de leurs parents n’était pas garantie, y compris en ce qui concerne les niveaux et les modes de consommation auxquels ils avaient eu accès pendant les années de leur formation ». (ibid.)
Cette analyse est conforme aux estimations de Almog et Barzilai concernant l’origine sociale des leaders et des activistes du mouvement : 75% d’ashkénazes et 25% d’« orientaux » au sens large, dont la plupart entre 26 et 35 ans, et à 66% habitant dans les centre-villes.
Les chiffres élaborés par Rosenhek et Shalev, qui concernent la ville de Tel Aviv et sa banlieue, indiquent qu’entre 2004 et 2010 le pourcentage de propriétaires s’est réduit, notamment parmi les jeunes « Juifs israéliens natifs » (moins de 35 ans) vivant dans le centre-ville de Tel Aviv, qui est le quartier le plus intéressé par la spéculation immobilière.
Tab. 2 : pourcentage de propriétaires chez les jeunes ménages
2001-2004 (%) |
2009-2010 (%) |
|
Juifs israéliens natifs – Centre |
74 |
60 |
Juifs israéliens natifs – Autres quartiers |
73 |
63 |
Immigrés russophones – Centre |
37 |
47 |
Immigrés russophones – Autres quartiers |
65 |
61 |
Haredim – Tous quartiers |
73 |
68 |
Arabes – Tous quartiers |
90 |
93 |
Total – Centre |
69 |
61 |
Total – Tous quartiers |
76 |
71 |
Source : Rosenhek & Shalev, op. cit., p. 8
D’autres chiffres donnés par Rosenhek et Shalev indiquent que la baisse du pourcentage de propriétaires chez les juifs natifs affecte plus particulièrement ceux de la classe moyenne. Entre 2004 et 2010 le taux de propriétaires dans le quintile des jeunes ménages aux revenus les plus bas a progressé de 1%, tandis qu’il a diminué de 9 à 13% pour les trois quintiles intermédiaires et de 17 % pour le quintile aux revenus les plus élevés. Dans ce dernier quintile, et pour la même période, le pourcentage de jeunes ménages dont le revenu principal est obtenu suite à un diplôme universitaire a diminué de 49 à 40%. La dégradation de leur niveau de vie est donc avérée, au point que « beaucoup d’entre eux pourraient vivre décidément mieux ailleurs ». Mais « ils ne peuvent pas imaginer leur destin ailleurs qu’en Israël » (Shmuli)14.
En ce qui concerne la population arabe-israélienne, on ne dispose pas de données permettant de distinguer le prolétariat des classes moyennes (ancienne et nouvelle). Au niveau du logement, le taux très élevé de propriétaires semble être une donnée permanente. À Tel Aviv, cette partie de la population est sûrement concentrée dans des quartiers plutôt périphériques. Sur l’ensemble du pays, elle se concentre à Jerusalem, dans les districts de Haifa et Nazareth, dans la région du Golan et à la frontière méridionale avec la Cisjordanie (le « Triangle »). Ces dernières zones sont peu concernées par la la bulle immobilière : selon un rapport gouvernemental de 2015, seulement 2% des transactions immobilières concernent des villes arabes, alors que les populations qui y habitent détiennent 18% du stock national de logements. Ceci ne veut pas dire que la population arabe d’Israël n’ait pas de problèmes de logement, mais qu’ils sont d’un autre type. Par exemple, en janvier 2017, la démolition de 11 maisons considérées abusives à Qalansuwa, ville arabe de l’arrière-pays, a suscité plusieurs manifestations dans d’autres villes et une journée de grève des travailleurs arabes-israéliens, qui aurait vu la participation de 500.000 grévistes dans tout le pays15. Les arabes-israéliens étant environ 1,5 million, ce n’est pas négligeable. Une semaine plus tard, à Umm al-Hiran, un village bédouin du Néguev, d’autres démolitions ont fait éclater une émeute qui s’est soldée par un mort du coté des policiers et un autre du coté des résidents. Ces réactions semblent indiquer que pour les arabes-israéliens le problème de logement est moins une question de prix et de confort qu’une question de survie. En fait, dans les villes arabes le problème fondamental concerne directement la construction. Il est très difficile d’obtenir un permis, ça peut prendre des décennies. Selon certaines estimations, la population arabe aurait besoin de 5.000 nouveaux immeubles d’habitation par an, tandis que 1.400 permis sont accordés seulement. À cela s’ajoute que la propriété foncière individuelle (7% du sol israélien) se concentre entièrement dans ces zones ; les plus petits lotissements se situent dans les villes, et pour construire des immeubles d’habitation il faut souvent les regrouper. Certes, une telle pénurie de logements fait aussi grimper les prix, mais dans ces conditions le marché ne peut que rester très étroit. Entretemps, les générations s’entassent les unes sur les autres dans les mêmes logements, se répartissent les mêmes terrains en lots toujours plus petits, et ceux qui ne peuvent pas attendre construisent illégalement. Parmi les raisons qui ont poussé les autorités administratives à entraver les projets de construction, il faut rappeler le taux de croissance démographique de la population arabe, perçue comme une menace pour la judéité de l’État israélien: il s’élevait à 4,5 en 1999 ; il est descendu à 3,1 en 2013.
Environ 450 constructions illégales sont démolies tous les ans à travers le pays16. Il faut encore préciser que, jusqu’en 2009, la moitié seulement de ces démolitions se déroulaient dans des municipalités arabes, et que le pourcentage a encore diminué depuis : elles ne touchent donc pas que les arabes-israéliens. Mais qui d’autre alors ? Difficile à dire. Certaines sources mentionnent un collectif de juifs et arabes contre la destruction des maisons apparu pendant l’été 2011 à Jaffa. C’est l’une des rares occurrences où les problèmes de logement des arabes pénètrent à l’intérieur du mouvement. En même temps elle laisse penser que ces problèmes touchent aussi des juifs pauvres. À Jaffa – vieux port que l’expansion de Tel-Aviv a fini par englober – c’est fort probable, puisque la ville est mixte et en voie de gentrification rapide. De plus, Israël est aussi la destination de nouveaux flux migratoires, modestes par rapport aux grandes vagues historiques, mais bien réels. La nouvelle immigration africaine notamment (Soudan, Érythrée, Côte d’Ivoire), tend à s’établir dans la banlieue sud de Tel-Aviv et dans d’autres grandes villes. Vue l’étendue du mal-logement en Israël, on peut imaginer en quoi consiste le bas de gamme du bas de gamme : taudis, bidonvilles, pré-fabriqués, campements.
2.4 – Question du logement et question palestinienne
« Il s’est agi d’un mouvement Occupy qui a ignoré l’autre occupation, la vraie, qui a lieu dans son arrière-cour », note amèrement U. Gordon. En vérité les choses ne sont pas aussi simples. Le mouvement n’ignore pas la question palestinienne. Fin août 2011, un incident militaire a lieu du côté de Gaza. Un guet-apens contre un bus israélien dans le désert du Sinai a fait 6 morts. Israël répond par un bombardement. Des roquettes palestiniennes lancées vers la ville d’Ashkelon sont interceptées par un système anti-missiles israélien. Une nouvelle guerre israélo-palestinienne semble proche. Elle pourrait profiter au pouvoir en détournant l’attention politico-médiatique portée sur la Révolte des Tentes. Le mouvement s’adapte à la situation en payant son tribut au patriotisme ambiant, transformant la manifestation du samedi suivant (27/8) à Jerusalem – qui aurait dû se rendre encore une fois auprès de la résidence privée de Netanyahu – en une marche silencieuse ornée de bougies. Depuis son compte Facebook, Stav Shaffir, porte-parole du mouvement, publie une Lettre aux cités des tentes où elle fait preuve de ses qualités de future politicienne :
« […] comblés de douleur pour nos pertes humaines, et d’anxiété pour le destin de notre pays, nous prenons la responsabilité de continuer à agir […] Sans sécurité sociétale, il ne peut y avoir de sécurité. Sans justice sociale, il ne peut pas être question de sécurité. Notre sécurité, c’est nos habitations, notre santé, notre État-providence et notre système éducatif. L’unité de notre société est notre sécurité. » (cité par Gordon, op. cit., p. 353)
Un représentant du campement de Jerusalem lui fait écho et en remet une couche :
« La nation qui descend dans la rue est la même nation que celle qui encaisse les coups de feu de l’ennemi, et sa vigoureuse revendication pour un changement profond au niveau des priorités économiques et pour une justice sociale générale ne va pas à l’encontre de la lutte contre la terreur – au contraire. Une nation dont les fils sont liés par une garantie mutuelle, et combattent ensemble pour l’avenir et la solidité de l’État d’Israël, est une nation forte qui peut affronter tous les ennemis. » (ibid.)
Ce samedi-là, à la fin de la marche, le père de Gilad Shalit, un jeune militaire retenu en otage depuis cinq ans par le Hamas, est invité à prendre la parole. Il accuse le gouvernement de ne pas avoir assez fait pour la libération de son fils (qui sera enfin libéré le 18 octobre). Il ne s’agit pourtant pas d’une initiative pacifiste : Noam Shalit voulait juste que son fils rentre à la maison ; il avait même fait recours auprès de la Cour Suprême israélienne contre le cessez-le-feu de juin 2008 puisque l’accord avec le Hamas ne prévoyait pas sa libération. Pourtant sa présence ne semble pas déranger grand monde. Un militant pro-palestinien prend la parole aussi, exhortant la foule à se solidariser avec des protestations se déroulant à Arabeh (Cisjordanie), dont nous n’avons pas pu reconstruire la cause (la construction d’une nouvelle colonie?). Une dizaine de manifestants tente de le faire taire, mais la foule les remet à leur place. Visiblement, des propos assez variés coexistent dans le même cadre. Cela indique surtout que ces propos sont destinés à rester sans conséquence immédiate, pourvu que tout le monde ait le droit de s’exprimer.
On voit que les préoccupations sécuritaires, qui ont permis à Netanyahu de l’emporter plusieurs fois aux urnes, n’ont pas été remises en cause par le mouvement. À part les grandes manifestations contre les massacres de Sabra et Chatila en 1982, les pacifistes ne sont jamais parvenus à rassembler plus de 5.000-10.000 manifestants dans des moments comme la deuxième Guerre du Liban (2006) ou l’opération Plomb fondu à Gaza (2014). Il est probable que les manifestations monstres de la Révolte des Tentes n’ont été possibles que par l’évitement de toute prise de position sur la politique palestinienne de l’État, le but étant de rassembler le plus large éventail possible de la population. Le compte-rendu d’une assemblée qui se déroule à Tel-Aviv vers la fin du mouvement, fait par un militant de Peace Now, le dit assez bien :
« À la première Assemblée Générale de Tel Aviv-Jaffa, qui eut lieu vendredi 21 octobre au parc Gan Meir, dans le centre-ville de Tel Aviv, nous nous étions divisés en 10 groupes de discussion d’environ 10 personnes chacun, afin d’établir l’agenda et le mandat de l’Assemblée. Lors de mon intervention, j’ai insisté sur deux points – le premier étant que si l’on voulait être l’Assemblée de Tel Aviv-Jaffa, il fallait se tourner vers les citoyens arabes de Jaffa. Le deuxième, qu’il était absolument essentiel de mettre le conflit israélo-palestinien à l’ordre du jour, et de s’adresser via les réseaux sociaux aux palestiniens et aux arabes engagés dans leurs propres mouvements de protestation. Dans mon cercle de discussion, le prof. Daniel Dor de l’Université de Tel Aviv a répondu par le discours habituel des leaders du mouvement : ce n’était pas le moment de placer le conflit dans l’agenda – même s’il reconnaissait que ce manque avait provoqué des problèmes lors des contacts avec les autres mouvements de protestation en Europe. Au moment des compte-rendus que chaque groupe devait faire de sa discussion, une jeune femme parla des différentes propositions qui avaient été faites dans son cercle, puis elle ajouta : “Nous avons aussi parlé du kibbush (l’occupation) – voilà, j’ai prononcé le mot, l’éléphant dans la pièce” (que tout le monde voit, mais dont personne ne veut parler) »17.
Il n’est pas sûr qu’un contingent plus nombreux d’arabes-israéliens dans la mobilisation aurait clivé le mouvement sur la question de l’occupation. Il est vrai qu’à l’époque de la deuxième Intifada (2000), leur engagement à côté des palestiniens fut considérable. Onze ans après, « même les activistes arabes participant aux manifestations insistent principalement sur la connexion entre l’hégémonie ethno-nationale juive et la détresse sociale qui touche les arabes-israéliens, laissant de côté la question de l’occupation ». (Amog et Barzilai, op. cit.) – ce qui est conforme à leur statut de (demi-)citoyens de l’État israélien.
La CMS qui a campé sur le boulevard Rothschild et ailleurs a fait savoir qu’elle préférait rester à Tel-Aviv ou à Haifa plutôt que de s’installer pour pas cher dans des zones reculées, ou encore dans les territoires occupés, même avec des subventions. Certaines fractions du mouvement ont dénoncé les fortes subventions du gouvernement en faveur des colonies en Cisjordanie, prétendant que cet argent servirait mieux en soutenant le logement en Israël. Cette prise de position a plus à faire avec le confort des salariés de la CMS qu’avec une position précise sur la politique extérieure israélienne, car ces fractions ne se sont pas prononcées sur la partie du budget de l’État consacrée aux dépenses militaires et sécuritaires. Il y a sans doute une connexion entre la crise du logement dans les centres-villes et la politique d’implantation de colonies du gouvernement. Cela n’a pas échappé a quelques commentateurs. Par exemple :
« Nos planificateurs nationaux… ont systématiquement réduit l’allocation de terrains pour la construction en Israël, tandis qu’ils ont facilité l’accès au logement pas cher au-delà de la Ligne verte. On est en droit de penser que l’ensemble de la crise du logement fait partie d’un projet politique plus profond. Qu’y a-t-il de plus sioniste que d’être propriétaire d’une maison en Israël, à Tel-Aviv, à Jerusalem, en Galilée, dans le Néguev ? Est-il possible que la réponse du gouvernement, pendant des années, ait été : être propriétaire d’une colonie en Cisjordanie ? »18
On voit que la CMS n’est en désaccord avec la politique palestinienne du gouvernement que sur le seul point des aides accordées aux colonies. Ces aides sont-elles séparables de l’orientation générale de l’État israélien vis-à-vis des palestiniens? C’est peu vraisemblable.
3 – Conclusion
En Israël, l’importance du budget militaire et sécuritaire, le soutien économique aux colonies, la survivance d’anciens monopoles et la spéculation immobilière ont provoqué une crise du logement et de la vie vie chère dans la CMS. L’addition de ces ponctions a fini par éroder la partie de la plus-value sociale consacrée au sursalaire. La situation économique étant moins favorable, la concurrence à l’intérieur de la classe moyenne est devenu plus forte, les diplômes se sont dévalorisés, et pour les jeunes entrants sur le marché du travail il est devenu plus difficile de constituer rapidement un patrimoine. La montée des prix de l’immobilier à Tel-Aviv comme dans d’autres villes du centre du pays, a exacerbé ces difficultés.
La Révolte des Tentes de 2011 a mobilisé la CMS de façon à peu près exclusive, et encore de façon partielle. Ce sont surtout les enfants des fractions qui avaient le plus profité de la libéralisation relative de l’économie qui ont participé au mouvement, car c’est pour eux que la fracture générationnelle a été la plus nette : ils ne pouvaient plus vivre comme leurs parents. En particulier, il leur devenait difficile d’habiter dans les centres-villes. Les fractions montantes de la CMS, d’origine arabe et surtout russe, se sont tenues à distance du mouvement. Il n’empêche que la mobilisation a été forte – surtout si l’on compare le nombre des participants aux manifestations les plus massives à la population totale du pays (8,5 millions d’habitants).
L’État a été interpelé comme médiateur entre fractions de classes, pour qu’il modère les appétits de la rente foncière urbaine alors que les (sur)salaires ne suivaient pas, ou encore comme modérateur des inégalités dans le rapport social général (retour à l’État-providence). Cet appel à l’État, le mouvement des tentes ne l’a pas formulé en termes précis. À peu d’exceptions près, il en est resté à des propos extrêmement généraux sur le gouvernement, la dignité, la pauvreté, etc. La revendication de « justice sociale » ne s’est même pas focalisée sur un ou deux points importants du point de vue de la CMS, comme l’aide au logement ou le budget militaire. Quand D. Leef dit qu’il n’y a rien à négocier, ce n’est pas parce que le mouvement serait dans un rejet global du « système ». C’est plutôt que le niveau de généralité où se place son discours n’offre pas de grain à moudre à une éventuelle négociation. En fait, les campeurs de la révolte des tentes ne veulent de modifications ni précises ni profondes du « système ». Ils ont fait partie des bénéficiaires des politiques de droite, de la libéralisation économique, de la force du complexe militaro-industriel, sauf que la poursuite de toutes ces belles choses a fini par se retourner contre ces mêmes bénéficiaires. En fin de compte, « on est tenté de désigner la Révolte des Tentes en Israël comme le spécimen le plus docile de la vague mondiale actuelle » (Uri Gordon, op. cit., p. 351), un mouvement d’enfants gâtés. Cette révolte a été nettement a-politique19, au sens où elle a évité « tout affrontement direct avec le gouvernement de Netanyahu et tout appel à de nouvelles élections » (ibid.), de même que toute référence à la gauche. Elle est restée discrète sur la question du budget de la défense et sur la politique palestinienne du gouvernement. Par moments, on a remarqué une virulence particulière contre Netanyahu en tant qu’individu, comme s’il s’agissait d’une affaire personnelle, mais même sous cet angle ce n’est rien de comparable à ce qu’on a vu pour Ben Ali ou Moubarak.
Les résultats acquis par la Révolte des Tentes sont plus que modestes. Face au mouvement, Netanyahu a essayé de se montrer conciliant, avec des vraies propositions. Il avait autre chose à faire – se préparer pour l’assemblée générale des Nations Unies de septembre, où l’Autorité Palestinienne devait demander son adhésion – et il voulait se débarrasser du mouvement. Mais ses propositions ont été rejetées. Ne voulant pas concéder plus, il a plutôt misé sur le facteur-temps, et sur le piège représenté par la commission Trajtenberg : confier la patate chaude à des « spécialistes compétents ». Et finalement les faits lui ont donné raison. L’orage passé, le gouvernement a su faire preuve de volontarisme pour contrer la vie chère, mais pas de la façon que le mouvement social ou la commission Trajtenberg préconisaient (le « budget social ») : il a libéralisé certaines branches, notamment la téléphonie, et relevé le salaire minimum. La baisse du prix du pétrole lui a aussi été propice. Cela à donné, entre 2011 et 2015, une augmentation des salaires réels de 6% – certes passagère, mais supérieure à la moyenne de l’OCDE (2%)20. Pour ce qui est de la question centrale du logement, aucune amélioration n’a été observée sur le marché de l’immobilier. Cinq ans après, les prix avaient encore augmenté de 50% et les loyers de 30%.
Tab. 3 : Indice des prix de l’immobilier en Israël 2000-2017
Une telle évolution a sans doute raffermi le gouvernement dans le soutien économique et politique inconditionnel aux colonies (légalisation des colonies sauvages en Cisjordanie en 2017, etc.). Mais pour que la politique palestinienne de l’État change, par exemple dans le sens d’un Etat unique binational, il faudrait une crise plus profonde que le seul éclatement de la bulle immobilière. Il va sans dire que ce ne sera pas une ridicule campagne de boycott du type Boycott Désinvestissement Sanctions qui provoquera une telle évolution. Il faudra une crise internationale suffisamment puissante pour entraîner une baisse importante et prolongée des exportations car le maillon faible réside dans le secteur exportateur. Et cela entraînerait probablement l’intervention du prolétariat.
Il semble donc que la Révolte des Tentes n’a pas changé grand chose au destin de la CMS ou de la société israéliennes. Ce que le mouvement a gagné, ce sont des députés à la Knesset. Stav Shaffir siège maintenant au parlement, plus jeune élue (travailliste) dans l’histoire de la Knesset. Shmuli aussi a été élu21. Les élections de 2013 ont aussi signalé l’essor du parti Yesh Atid (« Il y a un avenir ») qui – avec une campagne électorale ciblant cette CMS laïque qui travaille, paie les impôts et sert dans Tsahal, tout en s’opposant au « parasitisme » des Haredim – a réussi à placer 19 députés sur 120 au parlement, devenant ainsi le premier parti d’opposition. Entre le parti travailliste et Yesh Atid, il semble que le mouvement de 2011 a fait une entrée certaine à la Knesset. Mais pour obtenir de cette assemblée satisfaction sur ses objectifs, il faudrait que la classe moyenne et ses représentants politiques s’associent au prolétariat. Ce ne serait pas la révolution, bien au contraire, mais cela signifierait tout de même une discontinuité remarquable dans un pays où les circonstances imposent l’Union Sacrée permanente, y compris chez les voisins palestiniens. Ce n’est toujours pas pour aujourd’hui : les manifestations anti-corruption de décembre 2017, qui dénoncent les « affaires » de Netanyahu et demandent sa démission, ne vont nullement dans ce sens. De nouveau, elles se sont tenues tous les samedis soir, principalement sur le boulevard Rothschild de Tel-Aviv. Le décor est donc le même qu’en 2011, mais le motif est purement politicien, le nombre n’y est pas… et tout le monde s’en fout.
R.F. – B.A.,
février 2018
Notes :
1 Taub Center, How much bang for your buck ? The stagnation of real wages in Israel, 14 décembre 2016 ; http://taubcenter.org.il/how-much-bang-for-your-buck-the-stagnation-of-real-wages-in-israel/.
2 Id., The Land of (Expensive) Milk and Honey, 28 décembre 2011, http://taubcenter.org.il/the-land-of-expensive-milk-and-honey/.
3 Peter Y. Medding, Mapai in Israel : political organisation and government in a new society, Cambridge University Press 1972, pp. 47-48.
4 Dans une interview, D. Leef fait valoir qu’elle n’avait que 16 ans quand elle s’est déclarée contre le service militaire et qu’on ne pouvait donc pas lui reprocher de manquer de patriotisme à l’âge adulte.
5« Aya Shoshan, un activiste de la première heure au campement du boulevard Rothschild, était juste revenu d’Espagne. Il enseigna très vite aux campeurs le langage des signes, ainsi que les principes de tour de rôle pour la prise de parole et des modérateurs. Le mouvement n’adopta jamais un processus formel d’obtention du consensus (les décisions étaient habituellement prises par ce que les campeurs appelaient une « majorité clairement visible »). Mais les éléments plus profonds et plus significatifs – l’écoute active, la compassion et le sens d’un projet commun – étaient évidents ». (Uri Gordon, Israel « tent protest » : the chilling effect of nationalism, « Social Movement Studies », n. 11 (3-4), 2012, pp. 350-351).
6 Il s’agit de baux à long terme (49 ans) par lesquels les entreprises et les particuliers obtiennent le droit de construire sur les terrains de propriété publique.
7 Harriet Sherwood, Israeli protesters reject government’s emergency housing package, 26 juillet 2011 ; https://www.theguardian.com/world/2011/jul/26/israel-tent-protesters-emergency-housing-package.
8 Itzkik Shmuli, The new Israelis have united in protest, 9 septembre 2011; https://www.theguardian.com/commentisfree/2011/sep/09/new-israelis-protest-social-justice.
9 « La profusion de phrases à effets, slogans et symboles peut s’expliquer par le fait que certaines parmi les figures dominantes qui ont pris en main les événements étaient des jeunes travaillant dans les médias, dans la communication, dans la réalisation de films et dans les droits d’auteur. Regev Contes, activiste de premier plan mais aussi réalisateur créatif, dit : “Dans ses meilleurs aspects, le mouvement était une campagne. Il s’adressait à un certain public. On visait le changement complet de son vocabulaire”. Shir Nosatzki, qui avait fait des expériences de journaliste pour un hebdomadaire de Tel-Aviv, développe : “Tout le langage était journalistique… les slogans venaient en quelque sorte de la rue, et je ne pourrais pas dire d’où ni comment. Mais la partie créative revenait à Regev Contes”. » (Almog et Barzilai, op. cit.).
10 Jusqu’ici, la non-violence a dominé dans les révoltes de la classe moyenne salariée. Cela ne signifie pas que la violence est par essence étrangère à cette classe quand elle se défend. Au contraire, elle est capable de développer des formes ultra-violentes de lutte (lutte armée, terrorisme).
11 Michel Warschawski, La révolte des Israéliens noirs, 3 juin 2015 ; https://orientxxi.info/magazine/la-revolte-des-israeliens-noirs,0920.
12 Zeev Rosenhek, Michael Shalev, The political economy of Israel’s « social justice » protests : a class and generational analysis, Contemporary Social Science, 2013.
13 Harriet Sherwood, Israel’s former Soviet immigrants transform adopted country, 17 août 2011, https://www.theguardian.com/world/2011/aug/17/israel-soviet-immigrants-transform-country.
14 Itzkik Shmuli, ibid.
15 Bethan McKernan, Half a million Arab Israeli workers strike over demolition of illegal Palestinian homes, 12 janvier 2017, http://www.independent.co.uk/news/world/middle-east/arab-israel-workers-half-million-strike-illegal-palestinian-home-demolitions-a7523691.html.
16 Hagal Amit, The real housing crisis in Israel is in its arab towns, 10 février 2017, https://www.haaretz.com/israel-news/business/1.770947.
17 Hillel Schenker, The Israeli Summer and the Arab Spring, « Palestine-Israel Journal », vol. 18, n.1, 2012 ; http://www.pij.org/details.php?id=1424.
18 David Horowitz, A deeper political agenda behind Israel’s soaring housing market ?, 23 août 2016; https://www.timesofisrael.com/a-deeper-political-agenda-behind-israels-soaring-housing-market/.
19 Cependant, des organisations politiques, notamment le parti de la Gauche Nationale, ont soutenu matériellement la logistique des campements.
20 Dany Bahar, Five years after the social protests in Israel, what has changed ?, 1 août 2016; https://www.brookings.edu/blog/markaz/2016/08/01/five-years-after-the-social-protests-in-israel-what-has-changed/.
21 Quant à Daphni Leef, elle a fait savoir qu’elle voulait continuer le combat à un niveau plus culturel, en dehors du parlement. Toutefois, l’option parlementaire et l’option extra-parlementaire ne s’excluent pas forcement : «Ce sont deux faces de la même médaille, et toutes les deux [Shaffir et Leef, ndr] déclarent qu’elles continueront à travailler en collaboration l’une avec l’autre » (Hillel Schenker, op. cit.).