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Albanie – chronologie de l’insurrection de 1997

La chronologie ci-dessous a été établie à partir de deux documents: un texte de TPTG (Upheaval in the land of the eagles, Athènes 1998), et un texte de Communisme (n° 46: Albanie – le prolétariat s’affronte à l’Etat bourgeois, novembre 1997).

De décembre 1990 à mai 1991, des émeutes de la faim éclatent dans toute l’Albanie. Les investisseurs occidentaux reculent face à tant d’incertitude quant aux perspectives de profit. Les années 1991-92 sont marquées par l’effondrement total de l’industrie albanaise et la persistance de troubles sociaux. De décembre 1991 à février 1992, une deuxième vague d’émeutes déferle sur le pays. A chaque fois, ces émeutes débouchent sur des pillages et incendies de commissariats, bâtiments publics, usines, magasins et dépôts de vivre. L’Albanie, classée à hauts risques, est placée sous perfusion de l’aide internationale pour éviter l’explosion sociale.

En mai 1996, le soir des élections législatives qui attribuent la totalité des sièges du parlement au Parti Démocratique, le drapeau de la Vefa, la plus importante compagnie financière compromise dans les pyramides trône à la tribune des vainqueurs. Un journaliste commente: « La Vefa illustre le miracle du capitalisme, le miracle albanais, le miracle d’un pays qui s’arrache enfin de la misère. » Avec la faillite des pyramides financières dont celle de la Vefa, le sentiment de trahison est très fort au sein de la population, tant ces sociétés d’épargne sont liées au gouvernement Berisha et au Parti Démocratique. Lorsque le gouvernement prend des mesures pour stopper les spéculations, il est trop tard, il ne contrôle plus la situation. Le 10 janvier 1997, il engage des poursuites contre deux institutions qui sont à la base de la constitution de ces pyramides: Xhaferri et Populi.

19.1.97 – Tirana. Une grande manifestation (organisée par les partis d’opposition) contre les « pertes » d’argent dans les banques albanaises finit en confrontation féroce avec la police.

A Berat (100 km au sud de Tirana), des pierres volent contre les bâtiments de la police, de la justice, les bureaux ministériels et ceux du Parti Démocratique. Deux cents manifestants sont arrêtés. Le Parlement en appelle à l’armée pour protéger les bâtiments officiels.

24.1.97- Lushnjë, 100 km au sud de Tirana, localité où les pyramides ont lésé le plus de monde, des manifestants jettent des engins explosifs au premier étage du bâtiment de la municipalité. Le feu prend. Les deux mille personnes rassemblées dans le centre ville font barrage et empêchent les pompiers d’accéder à l’incendie. Les manifestants exigent que leur argent, déposé dans la fondation Xhaferri mise en faillite la semaine précédente, leur soit remboursé.

Fin janvier – Une autre manifestation (25.000 personnes) à Tirana, devant le siège du parlement, affronte la police. Le président Berisha assume des pouvoirs extraordinaires relatifs au recours à l’armée face à une révolte imminente. Le gouvernement annonce la compensation partielle des « pertes ». Manifestations dans le nord du pays, à Shkodra, et surtout dans le sud à Vlores, Patos, Korca, Lushnje. Mairies, bâtiments gouvernementaux, commissariats, bureaux du Parti Démocratique et des « pyramides » (les fameuses banques) sont incendiés. Berisha ne se rend pas compte de l’ampleur du mouvement et pense mettre fin aux désordres en laissant libre cours aux habituelles pratiques de la police secrète, le SHIK (ex-Sigourimi, police secrète de l’époque stalinienne). Plus les rassemblements tournent à l’émeute, plus la police devient brutale. Le SHIK fait régner son habituelle terreur: arrestations, interrogatoires, tabassages, emprisonnements, assassinats, disparitions,…

30.1.97 -Dix partis de l’opposition dont le Parti Socialiste se coalisent en un Forum pour la Démocratie. Ce Forum exige la démission du gouvernement Berisha jugé responsable du chaos économique mis en évidence par les effets dévastateurs des entreprises pyramidales et appelle à la constitution d’un gouvernement de technocrates pour gérer la crise en attendant l’organisation d’élections anticipées.

Début février- Berisha promet que tous ceux qui ont été spoliés seront dédommagés soit en argent liquide soit en livrets d’épargne. Le remboursement devrait débuter le 5 février grâce à la saisie des comptes de deux des principales sociétés de fonds de placement. Mais, d’une part, plus personne ne fait confiance à ces bouts de papier que l’Etat leur délivrerait une nouvelle fois en échange de promesses. D’autre part, le même jour, la plus importante des entreprises de pyramides à Vlorë, Gjallica, annonce sa mise en faillite, laissant un trou de 360 millions de dollars, et proclame sa totale impossibilité de remboursement.

5.02.97- Suite à cette nouvelle, à Vlorë (ville portuaire de 60 à 80.000 habitants à 210 km au sud de Tirana), 30.000 personnes descendent dans la rue. Comme la manifestation se dirige vers le port, les flics chargent et tentent de chasser les manifestants à coups de pompes à eau et de matraques. Des membres masqués du SHIK frappent des manifestants et les emmènent dans leurs voitures. Les affrontements avec la police font deux morts et une centaine de blessés, la plupart du côté des manifestants. Mais par la suite, un groupe de policiers anti-émeute se fait encercler. Plusieurs d’entre eux, déshabillés par les manifestants, courent dans les rues en sous-vêtements. Les forces de l’ordre se replient!

9.02.97- A Vlorë, dans la nuit, la police emprisonne ceux qu’elle juge être les meneurs. Les manifestants se réunissent devant les bâtiments de la police et exigent la libération des prisonniers. Les flics tirent, il y a au moins 26 blessés.

10.02.97- Toujours à Vlorë: 40.000 personnes manifestent et mettent le feu au quartier général du Parti Démocratique. Il y a à nouveau 81 blessés dont un meurt des suites de ses blessures par balles. Des localités environnantes (5.000 venant de Fier, plusieurs centaines de Berat, Tepelenë, et d’ailleurs encore), les prolétaires se solidarisent avec la lutte de leurs compagnons de Vlorë et viennent renforcer leurs rangs.

A Tirana: les forces de l’ordre n’arrivent pas à empêcher des rassemblements. La tension monte. Les manifestants crient « Vlorë, Vlorë! »

11.02.97- Vlorë, 30.000 personnes assistent aux funérailles du manifestant assassiné la veille par la police qui se fait particulièrement discrète ce jour-là. Mais la tension monte, à tout moment semblent pouvoir exploser des affrontements « dangereusement incontrôlés ».

Le gouvernement envisage de proclamer l’état d’urgence à Vlorë. Le Premier Ministre, Meksi, annonçait déjà à la radio: « il faut défendre l’ordre constitutionnel » et à une situation extraordinaire, il faut répondre par des « mesures extraordinaires ». Mais le décret soumis au Parlement rencontre l’opposition de députés du Parti Démocratique qui, venant de la région de Vlorë, se rendent compte que cette mesure ne ferait qu’accentuer la tension que les arrestations et assassinats ont particulièrement aiguisée ces derniers jours. Pour éviter que la haine des flics ne se retourne contre l’ensemble des structures de l’Etat, le gouvernement décide alors de limoger le commissaire de police en place à Vlorë.

Semaine du 12.02.97 – Le mouvement s’élargit dans presque toutes les villes du sud et dans quelques villes du nord. Les manifestations deviennent de plus en plus massives et les affrontements plus forts. A Fier, il y a encore un mort du côté des manifestants.

19.02.97 – Une nouvelle grande manifestation que la police n’a pas pu empêcher se déroule à Tirana. Partout, on crie « Vlorë, Vlorë! »

20.02.97- 41 étudiants de l’université de Vlores entament une grève de la faim. Ils appellent à la non-violence, réclament la démission du gouvernement Meksi, la formation d’un gouvernement de technocrates pour assurer l’intérim jusqu’aux nouvelles élections, le limogeage des responsables de la télévision, des poursuites judiciaires contre les responsables des brutalités policières

26.2.97 – 46 étudiants de Gjirokaster entament une grève de la faim en solidarité avec ceux de Vlores. Dans les collèges et universités de Tirana, les étudiants sèchent les cours.

28.2.97 – Vlores: Des dizaines de milliers de manifestants furieux (certains armés) attaquent le siège de la police secrète et l’incendient après plusieurs heures d’affrontements (4 morts, nombreux blessés). A l’origine de la manifestation, la rumeur selon laquelle les flics pénètreraient dans l’université contre les grévistes de la faim. Les manifestants, qui ont aussi eu vent de l’hésitation du gouvernement à déclarer l’état de siège à Vlorë, se dirigent vers une caserne de l’armée, enfoncent les portes et prennent toutes les armes qu’ils peuvent y trouver sans rencontrer la moindre résistance de la part des officiers et des soldats encasernés. Une mitrailleuse lourde est installée devant l’université. Les affrontements continuent toute la nuit du 28 février et se prolongent jusqu’au 1er mars. A Saranda, une femme ayant perdu toutes ses économies dans une « pyramide » s’immole par le feu.

1.3.97 – Vlores: violents affrontements entre de nombreux hommes armés et des agents de la police secrète. 14 morts. Les « éléments incontrôlables » attaquent des commissariats et des casernes, qu’ils pillent, emportant de grandes quantités d’armes et de munitions. Ils mettent le feu aux bâtiments publics, pillent et détruisent les commerces et entreprises privées (notamment ceux qui collaborent avec le gouvernement). A Vlores, les émeutiers pillent aussi l’ancienne villa de Hoxha (actuelle maison de campagne de Berisha) et la brûlent. Le parti Socialiste, principal parti d’opposition, lance le mot d’ordre « des fleurs, pas des pierres », mais est manifestement ignoré par les rebelles. De fait la révolte s’étend rapidement dans de nombreuses villes du sud: Tepelen, Himara, Delvina, Gjirokaster, et surtout à Saranda où les rebelles libèrent 200 prisonniers. La direction de « Omonia », l’organisation de la minorité grecque, montre combien elle est proche de Berisha quand elle décrit la révolte comme un règlement de comptes entre le gouvernement et des gangs. De plus, elle essaie de faire croire que la minorité grecque ne participe pas à la révolte et qu’elle pourrait devenir la cible des émeutiers. Mensonges terribles qui s’écroulent immédiatement. Alexander Meksi, le premier ministre, démissionne du gouvernement.

A Lushnjë, des manifestants interceptent deux fourgonnettes bourrées de policiers anti-émeutes et obligent ceux-ci à abandonner celles-là. Une quarantaine de flics sont ainsi désarmés.

2.3.97 – Berisha déclare l’état d’urgence. Il parle de « rouges armés par les services secrets étrangers ». Un couvre-feu est instauré et des tentatives sont faites pour censurer la presse internationale. Quant à la presse nationale, la censure existait déjà plus ou moins.

Près du port de Vlorë, dix mille insurgés cernent la garnison de la base stratégique de Pacha Liman. Les soldats abandonnent leurs positions. Resté seul, le commandant ouvre les portes aux insurgés. Il deviendra organisateur de la défense de Vlorë face à une possible intervention des troupes toujours à la solde de Berisha.

A Sarandë (300 km au sud de Tirana), environ trois mille manifestants brandissant des bâtons déboulent dans les rues sans rencontrer aucun barrage. Impressionnée par la détermination des manifestants, la police disparaît subrepticement des lieux. Les prolétaires pillent et incendient le commissariat (vide) et les voitures de police abandonnées. Le même sort est réservé aux bâtiments du SHIK. Quatre cents fusils d’assaut Kalachnikov tombent aux mains des insurgés qui, continuant leur parcours, attaquent le tribunal, prennent d’assaut la prison et libèrent une centaine de prisonniers. Ensuite, les prolétaires insurgés se donnent un nouvel objectif: l’attaque d’une succursale de banque, abandonnant ainsi leurs illusions quant à obtenir de l’Etat réparation. Tout le centre ville est en flamme. A aucun moment, la police n’a essayé d’intervenir.

A Himaren (ville côtière entre Vlorë et Sarandë), les émeutiers ont mis le feu à la maison communale et au commissariat.

A Delvinë (entre Sarandë et Gjirokaster), les émeutiers ont incendié la préfecture de police, le parquet de Justice et, là aussi, ils ont pillé une succursale de la caisse d’épargne.

A Levan (village situé entre Vlorë et Fieri), un groupe de manifestants entre dans une caserne et pille des dépôts d’armes. Il ne rencontre aucune résistance.

A Gjirokaster, déjà en grève générale illimitée depuis plusieurs jours, les émeutiers envahissent le commissariat, se servent en armes, libèrent les quinze détenus qui s’y trouvent puis incendient le bâtiment. Les policiers n’ont pas opposé de résistance. Le lendemain, un complexe commercial appartenant à la société d’épargne Gjallica est incendié.

Des barrages routiers sont érigés par les insurgés sur les routes de Vlorë-Sarandë, et à Tepelenë.

A Tirana, une nouvelle manifestation de six mille personnes est marquée par des affrontements violents au cours desquels des cameramen d’Italie et d’Allemagne sont roués de coups. La télévision est prise pour ce qu’elle est: une police au service de l’Etat. Les manifestants en viennent aussi à prendre d’assaut les voitures de police, les retournent et y mettent le feu. Les forces de police se retirent.

Face à cette situation, la bourgeoisie impose des mesures exceptionnelles: elle décrète l’état d’urgence sur l’ensemble du territoire albanais, pour une durée indéterminée et « jusqu’au rétablissement de l’ordre constitutionnel et public ». Ce qui veut dire couvre-feu à 20 heure, contrôles policiers avec droit de tirer sans sommation, interdiction de tout rassemblement de plus de quatre personnes et droit d’ouvrir le feu pour disperser les foules. Légitimation que les polices anti-émeute ou secrète n’avaient pas attendue pour tirer dans le tas!

3.3.97 – Le gouvernement de Berisha lance un ultimatum pour que les armes soient rendues. Il est naturellement ignoré. Des tanks se dirigent vers Gjirokaster et d’autres endroits du sud du pays. Mais les rebelles ne perdent pas de temps. Ils s’emparent du port maritime de Vlores et de la base navale de Saranda où ils occupent un dragueur de mines. Dans cette ville, des centaines de gens assiègent la mairie, assaillent le maire, membre du Parti Démocratique, pâle et blessé, et lui demandent d’envoyer à Berisha un ultimatum pour qu’il quitte la scène politique.

Dans le sud du pays, le mouvement de désertion dans l’armée et de fraternisation est général. Les 46 étudiants en grève de la faim, arrêtent leur action et font une déclaration nationale démocratique inopportune: « … observant la situation incontrôlée du pays et estimant que lorsque l’essence de la démocratie est remplacée par le pouvoir des armes, alors cette situation peut avoir des conséquences d’un coût national… Dans ces conditions, lorsque la démocratie n’a pas de couleurs réalistes, la grève de la faim ne reflète pas la situation réelle et doit être considérée comme terminée ».

Pendant ce temps, Berisha n’a pas l’air terrifié et le parlement, qu’il contrôle complètement, le réélit pour 5 ans de façon provocante. Il promet de défendre les « idéaux de liberté, démocratie et progrès ». Selon une rumeur, Berisha a remplacé le chef des forces armées, qu’il ne contrôle manifestement plus, par son bras droit, Gazidede, chef de la police secrète.

L’armée reprend le contrôle de la situation jusqu’à Fier, une centaine de kilomètres au sud de Tirana. Berisha décide aussi l’isolement du sud du pays en coupant toute communication que ce soit par téléphone, satellite, etc.

A Tirana, depuis la proclamation de l’état d’urgence, des queues se forment devant les boulangeries. Les prix ont augmenté de 30 à 40 %.

A Vlorë, d’un côté, les derniers « ressortissants étrangers » et journalistes sont évacués par des hélicoptères de l’armée italienne; les corps de police anti-émeute et de l’armée se sont repliés, seuls des hommes de la police secrète habillés en civil restent sur place. De l’autre, quatre personnes sont exécutées alors qu’elles s’apprêtent à rendre les armes à la demande du gouvernement.

4.3.97 – Berisha refuse une nouvelle fois les propositions d’élargir le gouvernement à l’opposition, malgré les pressions internationales, accusant toujours le Parti Socialiste de fomenter la « rébellion armée ».

Le gouvernement continue à fuiter des informations sur les tanks qui roulent vers le sud et les barrages routiers qui ont été faits et bloquent le trafic venant du sud vers Tirana.

A Vlorë, les armureries de plusieurs casernes sont dévalisées. Les insurgés se préparent à recevoir l’armée: des tireurs prennent position sur les toits des maisons, des barricades sont dressées à l’entrée de la ville avec des carcasses de voitures, des guetteurs prennent position sur des collines voisines pour surveiller les abords de la ville. Un pont est miné. A quelques centaines de mètres au-delà du pont, des blindés apparaissent. Quelques minutes plus tard, sans engager de combats, ils font demi-tour et s’en vont.

A Saranda, les rebelles armés attendent dans la tension, prêts à résister à une attaque. Ils élisent un « conseil municipal autonome » qui consiste en représentants de virtuellement tous les partis politiques. Les représentants de ce comité « sont d’accord » pour une sorte de trêve avec Berisha. En vain. Loin de penser à rendre les armes, la question qui se pose est: où prendre les armes pour se protéger? Les insurgés décident d’aller voir du côté des bâtiments de la police et de la marine militaire. Et c’est réellement toute la ville qui y va: les enfants, les femmes, les hommes. Les commissariats sont déjà abandonnés tandis que dans la marine, il ne reste que quelques officiers que les soldats déjà ralliés au mouvement ont renvoyés chez eux. Les insurgés s’emparent d’une batterie d’artillerie, de canons et de mitrailleuses lourdes pouvant contrôler la région dans un rayon de 30 km ainsi que de six navires de guerre. De la base navale, ils ramènent quantité d’armes et de sacs bourrés de munitions. De dix mille à quinze mille hommes en armes se réunissent au centre ville pour organiser les barricades, leur surveillance et une défense en cas d’attaque. Des groupes de jeunes armés de kalachnikovs et de pistolets mitrailleurs s’en prennent à des journalistes turcs, grecs et français et exigent que les cassettes d’enregistrement soient détruites. Pour prévenir toute nouvelle arrivée des blindés de l’armée, toutes les routes vers le nord sont coupées. A un barrage, un membre de la police secrète repéré à bord d’une voiture banalisée est brûlé vif, deux autres parviennent à s’enfuir, le quatrième est pris en otage. Un peu plus tard, des agents des services secrets en civil essaient d’entrer dans la ville et commencent à tirer sur les rebelles armés qui sont de garde.

De nombreux cas similaires montrent la tactique du gouvernement: des missions violentes d’espionnage dans le sud par des agents des services secrets, le SHIK, totalement sous le contrôle du gouvernement, ou des coups d’agents provocateurs. Dans ce cas, des tireurs cagoulés qui, en fin de compte, se révèlent être des membres de la police secrète, tuent des paysans ou des voyageurs, font des sabotages ou attaquent des gens désarmés afin de répandre la panique et une impression de chaos. Parmi de telles actions, on peut aussi compter des casses. Cependant, certains cambriolages et pillages ont plutôt été des exemples d’ « initiatives individuelles », ou de malhonnêteté, ou étaient simplement dictés par la faim, et pas nécessairement des actes de provocation. Il est difficile de faire une distinction, bien que les pillages et destructions des premiers jours étaient d’un caractère collectif et plus « politique ». Il est maintenant clair que le gouvernement ne contrôle plus l’armée. Le chef d’état major a aussi été remplacé. De nombreux officiers et surtout des soldats participent au pillage des casernes, quand il n’y jouent pas un rôle de premier plan. Des albanais grécophones – qui sont profondément engagés dans la révolte, en tout cas la plupart – ont racontés que des soldats et des officiers les ont laissés entrer dans les camps de l’armée. Cela montre tout le ridicule des représentants de la minorité grecque déclarant que « … la minorité ne participe pas aux émeutes ». A l’opposé, le gouvernement essaie d’imputer la révolte à une conspiration de la minorité grecque, provoquant la protestation de l’Etat grec qui vante le « sens des responsabilités » de la minorité. En même temps, les vautours des médias, sentant le sang et le spectacle, n’ont pas cessé de nous bombarder d’interviews de rebelles armés parlant grec et expliquant pourquoi ils se révoltaient! Par la suite, des recommandations spéciales ont été faites aux chaines de télévision de « ne pas exposer la minorité ». La vérité est bien entendu que, à part les dirigeants, la minorité prit les armes également car elle avait perdu presque tout dans les « pyramides ».

A Styari (10 km de Sarandë), l’armée doit faire face à une farouche résistance. L’offensive militaire est repoussée au bout de quarante minutes. Après ce premier engagement, l’armée se retire.

Sur la route qui conduit à Sarandë, cinquante soldats de l’armée régulière passent du côté de l’insurrection avec trois blindés.

A Delvinë, des unités de l’armée tirent sur les insurgés à partir de Mig-15, faisant des dizaines de morts. Deux des pilotes qui refusent de tirer sur la population s’enfuient à bord d’un MIG-15 et demandent l’asile politique en Italie. La décomposition de l’armée est telle que même les officiers se refusent à tirer contre les « civils ». Berisha croit pouvoir compter sur une réelle force mais il doit bien vite se rendre compte que malgré ses remaniements, l’armée n’est pas prête à faire front contre les insurgés.

5.3.97 – . Le mouvement insurrectionnel s’étend à Memaliaj et Tepelenë, où les prolétaires descendus dans la rue, incendient le commissariat et pillent les magasins. Les carcasses calcinées des camions viennent à point pour construire des barricades. Les insurgés s’emparent des armes lourdes de la brigade d’artillerie de l’armée. Mortiers, canons, batterie anti-aérienne, missile sol-air tout cela passe aux mains des insurgés qui les installent sur les hauteurs de la ville.

A Gramsh (15 km de Gjirokaster), pour bloquer l’avance des blindés, les insurgés dynamitent un petit pont après l’avoir pris aux soldats qui le contrôlaient.

Dans le nord, moins touché par le mouvement, le gouvernement distribue cinq mille armes aux membres du Parti Démocratique pour affronter les insurgés. A l’entrée et à la sortie de chaque ville, de solides barrages sont érigés pour contrôler tous les mouvements.

Dans le sud, à Stiari, faubourg de la ville de Delvina, 60 policiers de l’Académie de Police de Tirana, lourdement armés, en civil, ouvrent le feu contre les rebelles. Ces derniers ripostent violemment, et ce n’est qu’après la médiation du « Comité de Salut » que les flics s’en vont.

A Vlorë, les rebelles exproprient 3000 tonnes de blé stockées dans des entrepôts d’Etat et commencent à réorganiser leur vie quotidienne entre eux, d’abord à un niveau élémentaire. A Saranda, les rebelles s’emparent d’un tank et se promènent en ville avec. De nombreux autres se retranchent dans les collines autour de la ville, armés de pied en cape. Ils déclarent qu’ils « se battront jusqu’au bout ».

Plusieurs raids sans succès de Berisha créent une atmosphère de tension parmi la population, qui se prépare pour une éventuelle invasion de l’armée. (En fin de compte, cette invasion n’a jamais eu lieu, car bien des officiers, soldats et flics avaient perdu leur argent dans les pyramides et devinrent des rebelles eux-mêmes. C’est ce qui explique que les rebelles aient facilement accédé aux camps militaires, qu’ils aient utilisé des tanks, des navires, des armes lourdes, et qu’enfin ils aient fait preuve d’une organisation relativement bonne au niveau militaire).

6-7.3.97 – Berisha rencontre les partis d’opposition pour discuter de la situation, qu’aucun d’entre eux ne peut contrôler. Aucun résultat. Cependant, le gouvernement commence à reculer. Il pose un nouvel ultimatum de 48 heures pour rendre les armes et promet une amnistie générale. Le Conseil Européen fait pression sur Berisha pour qu’il collabore avec les autres partis et forme un gouvernement de rassemblement pour gérer les affaires courantes et préparer des élections. Pour lutter contre la passivité de l’armée, Berisha a annoncé l’arrestation de quatre officiers accusés de n’avoir pas défendu leurs casernes contre les pillages. Le gouvernement a également réclamé l’extradition des deux pilotes albanais qui se sont enfuis en Italie à bord du MIG-15. Ils sont inculpés de désertion.

Finalement, pour faire baisser la tension, tant du côté des insurgés que de ce qui reste de son armée, il suspend pour 48 heures (jusqu’au dimanche 9 mars à 6 heure du matin) les opérations militaires engagées dans le sud et promet d’amnistier ceux qui rendront les armes volées à l’armée… s’ils n’ont commis aucun délit! Ce qui réserve le droit à l’Etat de condamner tous ceux qui ont pris les armes! Pour toute réponse, les insurgés renforcent leurs positions. Le délai pour rendre les armes, la promesse d’amnistie, les appels au calme, tout est rejeté unanimement.

Vlorë, Sarandë, Delvinë, Gjirokaster et Tepelenë restent aux mains des insurgés. En prévision de nouvelles attaques de l’armée, les insurgés ont renforcé leur dispositif de défense, dressé des barrages et des points de contrôle pour retarder l’avancée des forces armées. A Sarandë, les blindés pris aux forces armées ont été déployés aux entrées de la ville. Le mouvement s’étend encore à Himaren et Samilia…

D’autre part, Berisha, qui refusait jusque là toute collaboration avec l’opposition, est obligé, sous la pression de délégations européennes et d’une mission diplomatique grecque, des avertissements du gouvernement américain… et des événements, d’accepter une première rencontre.

Les comités de Vlores et Saranda – à la tête desquels on trouve quelques anciens officiers de l’armée – propose différentes revendications, comme la formation d’un nouveau gouvernement de technocrates. Ils appellent à de nouvelles élections, demandent le départ des responsables de la télévision d’Etat et des média contrôlés par le gouvernement ainsi que l’absence de poursuite contre les officiers rebelles. Ils demandent aussi le retrait de l’armée hors des régions.

7.03.97- Les insurgés du sud refusent toujours de rendre les armes. Au contraire même, les arsenaux continuent à être pillés.

8.3.97 – Gjirokaster tombe dans les mains des rebelles. Juste avant que des commandos armés de Berisha aient tenté d’envahir la ville, les gens avaient pillé les armureries militaires et les avaient repoussés. Durant la trêve de 48 heures que le gouvernement a lui-même décrétée, six hélicoptères gouvernementaux se posent à l’aéroport de la ville d’où débarquent soixante cinq agents des services spéciaux de Tirana. Un groupe d’insurgés essaye d’empêcher l’atterrissage tandis que hommes, femmes et enfants se dirigent vers des casernes pour s’emparer des armes. Ils mettent la main sur d’impressionnantes réserves d’armes et de munitions avec l’approbation de quelques deux mille soldats tout heureux de déserter et de rejoindre les rangs des insurgés. Quantité de fusils, revolvers, lance-grenades, bazookas, pistolets mitrailleurs, grenades, munitions, mines et sept chars d’assaut tombent aux mains des insurgés. Le bureau de la douane est également attaqué.

Du côté des forces gouvernementales, c’est le sauve-qui-peut. Trois hélicoptères sont pris par les insurgés. Les autres arrivent à redécoller avec seul le pilote à bord. Les troupes débarquées, privées de leurs arrières, fuient vers la montagne. Les insurgés les poursuivent avec trois blindés. Leur fuite durera plusieurs jours à travers les montagnes pour regagner le nord, évitant les barrages, villages et autres places fortes défendues par les insurgés. C’est un berger qui les informera sur l’effondrement de l’armée et des structures officielles.

A Lushnje, des manifestants furieux immobilisent les gardes du corps du vice-président Tritan Sehu, qui était venu en hâte pour calmer la population. Frappé à la tête par une pierre, le ministre se réfugia dans les vestiaires d’un stade de football envahi par des milliers de paysans et de travailleurs qui venaient de le ridiculiser publiquement en lui mettant un poireau dans la bouche et un autre dans le cul.

Avec Vlorë, Tepelenë, Himaren, Memaliaj, Delvinë, Sarandë et Gjirokaster, les villes les plus importantes du sud sont désormais aux mains des insurgés. Le triomphe de l’insurrection à Gjirokaster signifie la perte pour le gouvernement de la plus importante clé stratégique et militaire de la région. Des journalistes commentent ainsi la situation: « c’est l’anarchie totale, il n’y a plus de police, plus d’Etat ». « L’armée n’interviendra jamais contre les civils. Elle n’existe plus », commente un ancien ministre de la défense, M. Perikli Teta.

Quelques heures plus tard à Gjirokaster, vers midi, se forme un Comité de Salut Public et un Comité de Défense de la ville présidé par le général Gozhita, destitué par Berisha 18 mois plus tôt, qui appellent à remettre les armes volées et ordonnent que « les commerces ouvrent leurs portes » tout en déclarant que « ceux qui commettent des pillages seront punis ».

9-10.3.97 – La ville de Permët tombe aux mains de l’insurrection. Les insurgés se mobilisent contre les forces gouvernementales dépêchées la veille dans la région. Les affrontements font cinq morts et bien d’autres blessés du côté des insurgés. Une brigade entière de soldats passe du côté des insurgés. Une fois l’attaque repoussée, les insurgés attaquent, pillent et détruisent le commissariat, le tribunal, l’hôtel de ville, deux banques et plusieurs magasins. Des barricades sont érigées aux entrées de la ville, notamment en direction de Korça où se sont retirées les forces gouvernementales.

La révolte s’étend sans arrêt et Berisha recule. Lorsque, dans la soirée, les nouvelles de la chute de Lushnje et de Fier arrivent à Tirana, il réunit d’urgence huit partis d’opposition et commence à négocier avec eux. Les rebelles avaient aussi conquis l’aéroport militaire de Kukcovac, à 120 km de Tirana, s’emparant de 40 Migs. Berisha déclare aux partis qu »à moins qu’ils ne trouvent une façon de rattraper la situation, « ils sont tous foutus (?) ». Il propose finalement que le nouveau premier ministre soit du Parti Socialiste tandis que le Parti Démocratique garderait l’Intérieur (qui contrôle la police et les médias et qui est responsable des élections). Ils conviennent aussi d’une amnistie générale pour les rebelles, une fois qu’ils auront rendu les armes, de la formation d’un gouvernement intérimaire de « Réconciliation Nationale » avec des représentants de tous les partis, de l’organisation de nouvelles élections en Juin et de la levée de l’état d’urgence. C’est de cette façon que les partis d’opposition fournirent au gouvernement l’aide dont il avait désespérément besoin. Mais les rebelles rejetèrent l’accord. Au 10 mars, ils contrôlaient 13 villes et 25% du territoire de l’Albanie. Le comité de Vlorë publia ses propres revendications: des élections avant le mois de juin, le remboursement de l’argent « perdu », sa propre participation aux négociations entre Berisha et l’opposition, la liberté de la presse, le démantèlement de la police secrète, la levée de l’état d’urgence. Cependant, même dans le Nord, le gouvernement commence à perdre pied. Les gens ne cachent pas leur désapprobation, voire leur indignation, quand Berisha demande qu’on attaque les rebelles dans le Sud. Un flic gardant la mairie de Shkodra dit à un reporter: « Il se conduit comme un dictateur. Ça me met en rage qu’il nous demande de prendre nos armes contre d’autres albanais. Nous avons vu des soldats dans le Sud qui se rendaient aux rebelles. Si quelqu’un attaque cette mairie, je ne crois pas que je la défendrai ». C’est un Ghek, un soutien ardent de Berisha, qui parle aux journalistes, lesquels ont constamment tenté de masquer le sens véritable de la révolte en l’attribuant à la « haine ethnique » et en annonçant une nouvelle Bosnie. Le gouvernement italien marque un point temporaire dans la course impérialiste avec la Grèce quand son ambassadeur rencontre des représentants des rebelles à Vlorë. Ils passent un accord selon lequel l’Italie enverra de l’aide humanitaire, à condition que le comité persuade les rebelles de rendre leurs armes. Ce succès diplomatique fait très vite la preuve de sa vacuité.

10.03.97- Le pari du Parti Socialiste de tout reprendre en mains en trois jours semble bien compromis. D’autant plus que le mouvement s’étend encore à Skrapari, Malakastra, Kelcyra, Berat, Poliçan, Kuçova, Gramsh.

A Gramsh (à 60 km au sud de Tirana) où est installée une importante usine d’armement, les insurgés se sont emparés de trois casernes et ont incendié le commissariat. Les insurgés remontent vers Fier, ville située au nord de la zone tenue par les insurgés. Ils prennent le contrôle de plusieurs routes aux alentours et font reculer les forces de l’ordre qui retirent une partie de leurs barrages dans cette région.

A Skrapari, les insurgés ont dévalisé des armureries de l’armée, attaqué l’aéroport militaire de Kuçova et pris le contrôle de Poliçan (entre Skrapari et Berat) où est installée une usine d’armement et de munitions. Les affrontements ont fait quatorze blessés.

Face au fait qu’il ne peut plus compter sur l’armée, Berisha arme ses partisans: à Bajram-Curri et Kukes, deux petites villes du nord situées dans des montagnes d’accès difficile, des partisans de Berisha pillent d’importants dépôts d’armes.

11.3.97 – 11 des 13 villes rebelles forment un front uni avec des revendications communes. Elles forment un « Comité de Salut National » à Gjirokaster. Parmi d’autres choses, elles demandent le départ de Berisha et leur participation aux négociations, en même temps que les partis. Le comité de Vlorë annonce que l’accord passé la veille entre certaines villes et l’ambassadeur d’Italie est nul et non avenu. Les villes acceptent l’aide humanitaire, mais sans aucune condition.

Dans deux villes du Nord, de fervents partisans de Berisha pillent les dépots d’armes de l’armée dans l’intention d’aller à Tirana pour soutenir le Parti Démocratique. Les efforts conjoints de tous les partis pour tenter de contrôler la situation (et sauver leur propre peau) aboutissent à la nomination de Bashkim Fino comme Premier Ministre. C’est un membre du Parti Socialiste, venant du Sud (ancien maire de Gjirokaster). Fino annonce bien sûr qu’il souhaite « créer le dialogue avec le peuple ». Cependant, le ministère de l’Intérieur reste sous le contrôle du Parti Démocratique. Le nouveau parlement passe un loi d’amnistie générale pour tous les rebelles à condition qu’ils rendent leurs armes avant la fin mars.

A ce jour, treize villes sont aux mains des insurgés: Poliçan, Kelsyra, Permet, Kuçova, Shrapar, Berat, Gjirokaster, Sarandë, Delvinë, Himaren, Tepelenë, Menaliaj, Vlorë.

Et Kruma, Burrel et Laçi, petites villes du Nord viennent s’ajouter à la liste.

12.3.97 – La rébellion progresse rapidement vers le Nord et s’approche de Tirana (un entrepôt militaire à seulement 35 km au sud de Tirana est pillé). A Elbasan, dernière étape avant Tirana (en venant du sud), la tension est extrême. Et tandis que l’armée et la police secrète se replient à 50 km au sud-est et à 70 km au sud-ouest de la capitale, les insurgés renforcent leurs positions et s’emparent des armureries laissées par l’armée. L’usine d’armement, de munitions et d’explosifs de Mjeksi (au sud d’Elbasan) est également pillée.

Après Elbasan, l’armée disparaît également de Fier, Cerrick (après un affrontement avec la police secrète) et Gramsh où les insurgés ont incendié le commissariat et pillé trois casernes.

Shkoder, la plus importante ville du nord est à son tour gagnée par le soulèvement. Les casernes assiégées sont abandonnées par les soldats. Les insurgés s’attaquent également aux prisons, ils en défoncent les portes et libèrent les détenus. Une succursale de banque est dynamitée, le tribunal saccagé. Les négoces sont éventrés et chirurgicalement vidés. Après avoir été mise à sac, la maison communale est occupée par quelques familles. Des barricades sont faites d’immondices semi-brûlées, de carcasses de voiture, sur un tapis de verre brisé.

L’importante base aérienne de Gjader, près de Lehze, à 80 km au nord de Tirana, tombe également aux mains des insurgés.

Paniqué, Berisha parle de comités de citoyens dans le Nord et de leurs besoins d’armes. Il tente manifestement de monter une nouvelle force pour affaiblir le Sud et suggère une guerre civile entre le Sud et le Nord. Cependant, même dans le Nord, nombreux sont ceux qui prennent position contre son parti, même à Tirana, où la situation est confuse. Il y a dans la capitale des groupes armés anti- et pro-gouvernement (comme par exemple certains soldats dans des convois de 8-9 camions passant à l’aube en tirant et en criant contre le Sud, notamment Vlorë). Mais il n’y a pas eu d’affrontement ouvert, bien qu’on ait entendu des tirs dans certains cas – il est tout à fait possible qu’une émeute qui n’a jamais été connue ait été écrasée.

Le fameux « dialogue avec les rebelles » du nouveau gouvernement n’a pas encore commencé que deux membres dirigeants du parti de l’Alliance Démocratique assument plus ou moins le rôle de représentants du « Comité de Salut National » regroupant 22 villes rebelles. De plus, le chef du parti dénonce l’accord entre Berisha et les partis politiques et prend position en faveur des rebelles.

Dans les villages du Sud, les comités ressuscitent la loi des anciens, les sous-préfet et les tribunaux populaires, qui jugent principalement les membres de la police secrète (le SHIK). Leur procès et leurs condamnations ne furent ni modérés ni magnanimes.

Face aux dangers d’extension du mouvement au nord du pays, limitrophe avec le Kosovo où la plupart des prolétaires sont d’origine albanaise, l’ex-Yougoslavie ferme ses deux principaux postes frontières avec l’Albanie.

Les gouvernements des USA, de la France et de l’Italie appellent leurs ressortissants à quitter l’Albanie. Moscou et Belgrade commencent à évacuer les membres et les familles de leur personnel diplomatique.

13.3.97 – Le nouveau gouvernement demande qu’une force multinationale de paix soit envoyée en Albanie. L’Italie et la Grèce se précipitent pour en faire partie. Dans de nombreuses villes contrôlées jusqu’à récemment par le gouvernement, des affrontements et des pillages d’entrepôts militaires ont lieu. Des milliers de personnes attaquent un camp en bordure de Tirana aux cris de « Rendez-nous notre argent, coupez la tête de Berisha« .A Tirana, des tanks sont visibles devant les bâtiments publics. Les flics ont disparu, mais on entend des rafales de mitraillette. Et la police secrète est omniprésente.

Un cortège de blindés et de Mercédes défile autour de la place centrale Skanderbeg. Les hommes du SHIK tirent des rafales d’armes automatiques et crient très fort pour montrer qu’ils redeviennent les maîtres du centre névralgique de Tirana. Des blindés sont déployés Boulevard des Martyrs et de la Nation où sont situés le palais présidentiel, le Parlement et autres bâtiments gouvernementaux.

La plupart des ministères et des administrations ont fermé, ainsi que les banques et les commerces. Les rues sont désertées. Les tirs d’armes automatiques sont incessants. Six personnes dont deux enfants ont été tués, la plupart victimes de balles perdues ou d’explosions accidentelles de mines ou de grenades. Les matons ont également abandonné les prisons, laissant s’évader quelques six cents détenus.

Malgré l’omniprésence du SHIK, Tirana n’échappe plus à la frénésie des pillages. De grandes masses de manifestants venus des faubourgs exproprient les dépôts d’aliments, entre autre un énorme entrepôt de farine situé dans la banlieue de Lapraka. D’autres manifestants pillent et exproprient l’Ecole de Police ainsi que la zone résidentielle de Tirana où se trouvent quelques ambassades, réussissant lors de cette incursion à s’approprier des kalachnikovs, des bombonnes de butane,… Les sentinelles du Quartier Général de la Garde Nationale (qui se trouvent seulement à 300 mètres de ces objectifs) ne bougent pas le petit doigt face à cette action. Les casernes sont pillées autant pour s’emparer des armes que des vivres qui y sont stockées, des meubles, des sanitaires, des chauffages,… Il ne reste des casernes qu’une carcasse désossée.

La télévision publique diffuse un communiqué d’un comité nouveau (et assez suspect), le Comité de Salut National du Nord, dont le siège est à Tirana. Il soutient le gouvernement et le premier ministre Fino, demande aux citoyens d’être sérieux, souligne que les gens du Nord ne sont pas contre les rebelles du Sud, mais cherchent au contraire le dialogue. Le communiqué se termine de façon curieuse: « Le peuple albanais dans son ensemble a pris les armes pour défendre le pays contre des ennemis de l’intérieur et de l’extérieur ».

Les employés fidèles au poste dans les ministères engouffrent ordinateurs, dossiers dans leurs véhicules aux plaques jaunes (gouvernementales). Soldats et policiers désertent leur poste et rentrent chez eux. Même les caïds du SHIK disparaissent de la scène. A Tirana, au sein de la bourgeoisie, c’est la débandade.

Les ambassades diffusent un ordre d’évacuation générale. Une compagnie de Marines est déployée devant l’ambassade américaine. Un pont aérien a été mis en place entre les unités de la marine italienne patrouillant dans le Golfe de Tarente et le port de Durrës. Trois super-pumas de l’armée de l’air et deux couguars de l’armée de terre françaises, six hélicoptères de l’armée allemande issus de la force de stabilisation de l’OTAN en Bosnie, des hélicoptères Cobra de l’armée des USA,… et quinze navires militaires albanais et d’autres encore de la flotte grecque sont mis à l’oeuvre pour évacuer leurs « ressortissants étrangers » respectifs, protégés par des unités de para-commandos, marines.

Au soir du mercredi 13 mars, la ville historique de Korça (sud-est du pays) est pillée. Les prolétaires se sont rendus à la caserne de Poceste où ils ont pris les armes et quatre blindés.

A Lezha, des prolétaires investissent le bâtiment de la police secrète (dont les membres ont disparu) et la banque d’Etat dont ils dynamitent le coffre-fort. Les notables de la ville créent aussitôt un Comité de Sauvegarde de Lezha pour essayer de calmer le mouvement. Ils traversent la ville en voiture en lançant, à l’aide d’un mégaphone, des appels au calme qui se font couvrir par les fusillades.

14-23.3.97 – L’Union Européenne assure l’Albanie de son soutien en aide humanitaire. Armand De Decker, un membre de la Commission de la Défense de l’Assemblée parlementaire de l’Union de l’Europe Occidentale (en deux mots: un bourgeois) déclare:

« Nous avons toutes les capacités militaires pour calmer le jeu et régler cette affaire. A condition de frapper vite et fort. »

« L’Eurocorps compte cinquante mille hommes parfaitement opérationnels. Une force de quelque dix mille soldats, soit le cinquième à peine des effectifs, lourdement équipés, blindés compris, suffirait à reprendre la situation en main. »

« Et pour contraindre les insurgés à rendre leurs kalachnikovs? Nous disposons de moyens de pression largement suffisants. Par exemple, établir une sorte de donnant-donnant: la restitution des armes volées contre la fourniture de nourriture

Berisha reprend pied, autant grâce à l’aide de sa garde prétorienne défendant Tirana d’une éventuelle révolte et terrorisant les gens dans la rue, que grâce à l’aide politique du Parti Socialiste; malgré des frictions entre les deux principaux partis, le Parti Socialiste s’avère le meilleur allié du Parti Démocratique. Il sauve l’Etat par des mesures très concrètes: en échange de la libération de Fatos Nano, l’ancienne Sigurimi (ex-police secrète) est réorganisée pour tenter de maintenir l’ordre dans le pays. Le 14 mars, Fino commence à réorganiser la police; il demande aux anciens et actuels policiers de revenir en les attirant avec de bons salaires. De tels efforts pour remettre en marche la machine de l’Etat sont relativement efficaces, et pas seulement à Tirana où aucune rébellion ne pouvait avoir lieu, mais dans le Sud également, où le gouvernement tenta d’assimiler les comités. La preuve en est que les représentants de 11 comités rencontrèrent Vranitzki [l’envoyé européen] et acceptèrent la force armée internationale!

15.03.97- Berisha lance un appel aux volontaires désireux de maintenir l’ordre dans la capitale pour qu’ils rejoignent l’armée ou la police albanaise en échange d’un salaire de quatre cents dollars, ce qui équivaut à quatre fois le salaire moyen. Le gouvernement promet également de tripler le salaire des policiers qui se représenteraient à leur poste. Plus d’un millier d’anciens officiers se présentent au ministère de la défense afin de panser les blessures de l’armée tandis que des milliers de jeunes rejoignent plutôt les rangs de la police. Pas besoin de montrer ses papiers pour être enrôlé! Des fusils et des munitions leur sont distribués.

17.03.97/18.03.97- des experts de l’Union Européenne venus à Tirana discutent avec le gouvernement albanais afin d’évaluer la portée et l’envergure d’une mission d’aide humanitaire.

19.03.97- Des représentants du gouvernement et des organismes internationaux discutent des objectifs de l’intervention et de la manière d’acheminer l’aide humanitaire. Les experts sont d’accord dans le rejet de l’intervention militaire directe pour assurer le rétablissement de l’ordre en Albanie (ils ont conscience du danger de généralisation) et considèrent plus efficace les mesures d’assistance à l’armée et à la police, afin que ces institutions rétablissent l’autorité de l’Etat, assurent la protection des aéroports, des ambassades et des principaux bâtiments officiels.

20.03.97- Berisha affiche son pouvoir en faisant rejeter (par le parlement) deux motions du gouvernement visant à supprimer la censure de la presse et à mettre la télévision publique sous l’autorité du gouvernement, et non du parlement.

Après avoir visité l’Albanie, des diplomates de haut rang des pays de l’UE rédigent le « rapport d’Appeldorn » sur la situation du pays. Ils pointent entre autres la nécessité d’une aide à la réorganisation du système pénitentiaire (les 7 prisons du pays ont été vidées et détruites), ils soulignent le manque d’informations fiables concernant l’organisation et les effectifs de la police (ce qui indique le degré de décomposition de l’Etat), et ils se déclarent « troublés » par les volontaires armés (noyau dur de fans du Parti Démocratique et membres du SHIK) qui aident les flics.

Pendant ce temps, les deux principaux partis s’accusent l’un l’autre d’approfondir la crise de l’Etat: le Parti Socialiste est accusé de « soutenir » les comités (Fino a rencontré le comité de Vlores, mais des représentants des autorités locales étaient également présents); et le Parti Démocratique est accusé d’avoir fait rejeter par le parlement deux projets de loi sur le contrôle et la gestion des médias. A propos du parlement, il est intéressant de noter que, selon l’ex-ministre des Affaires Etrangères, la moitié des députés étaient armés lors de la dernière session.

A Tirana, une deuxième manifestation pour « la loi et l’ordre » a lieu avec l’aide de quelques organisations pro-gouvernementale, comme l’Union des Femmes, et sous les auspices de la Fondation Soros. Gazidede, l’ex-chef de la police secrète, ainsi que Berisha lui-même, accusent la CIA et le lobby grec-orthodoxe d’être responsables de la révolte.

L’armée italienne effectue sa première opération sur le sol albanais. Des fusiliers marins d’une unité d’élite de l’armée italienne débarquent sur une plage proche du port albanais de Durrës.

25.03.97- 40 tonnes d’aide française en vivres et médicaments arrivent à l’aéroport de Tirana.

26.3.97 – Les négociations de l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE) débouchent finalement sur la création d’une « mission humanitaire protégée par une force multinationale sous mandat de l’ONU ». « Il s’agira d’une mission d’escorte, d’une mission humanitaire, pas de maintien de l’ordre. » « Le plan OSCE s’efforcera de créer les conditions politiques aptes à la tenue d’élections générales anticipées d’ici l’été prochain. Mais sa mission de police essentielle sera d’assurer la protection rapprochée dans l’acheminement des convois de secours alimentaires et médicaux dont les municipalités ou les hôpitaux pillés et mis à sac ont le plus pressant besoin. »

De ce jour au 12 avril, un contingent de 6.000 soldats environ devra débarquer en Albanie. Les premiers objectifs de la mission sont de sécuriser les ports de Durrës et Vlorë, l’aéroport de Tirana et les principales voies de communication entre le nord et le sud de l’Albanie.

28.3.97 – Le « Comité de Salut National « , regroupant des représentants de 18 régions, tient une réunion à Vlores et publie un manifeste (également signé par 7 partis politiques). Les principaux points du manifeste sont les suivants: départ de Berisha de façon officielle, c’est-à-dire par décision du gouvernement Fino, que le manifeste soutient. Les membres du comité ne souhaitent pas être représentés au parlement, mais ils demandent la mise en place d’une organisation qui  » exprimera la libre volonté du peuple et du gouvernement de Réconciliation Nationale ». Ils demandent aussi que le gouvernement et les partis aident à la réorganisation des aurorités locales et de l’administration publique. Sur la base des propositions des partis, ils demandent au gouvernement de réorganiser le SHIK et de rétablir la loi et l’ordre. Ils demandent enfin que les comités soient reconnus par le gouvernement comme un élément important devant participer aux négociations.

7.4.97 – Vlorë. Le « Comité de Salut National  » où pour la première fois quelques comités de Tirana et de Tropoje (ville natale de Berisha) se joignent aux comités des villes rebelles du Sud, se réunit une fois encore. Il accuse le parlement « d’irresponsabilité et d’illégalité » et exprime de nouveau son soutien au gouvernement Fino. En ce qui concerne la décision de la CEE d’envoyer une force de paix multinationale, le Comité déclare qu’elle est bienvenue à condition qu’elle « escorte l’aide humanitaire, vise à la restauration de la démocratie (et non pas de Berisha) et garantisse des élections libres en coopération avec le gouvernement Fino et les autorités locales. En ce qui concerne le désarmement des rebelles, le Comité s’en tient implicitement à sa position que les armes ne seront pas rendues avant des « élections libres ». La partie du communiqué concernant la force multinationale n’a été rédigée qu’après que de fortes dissensions se soient exprimées de la part de certains comités. En fin de compte, tous sont tombés d’accord sur le fait que le rôle de la force ne devait pas être politique.

9-10.4.97 – Les préparatifs pour la mission de la force de « paix » entrent dans la dernière ligne droite. Son but de base est de désarmer les rebelles et de faire régner l’ordre (mettant ainsi fin à la rébellion) sous couvert de distribuer de l’aide humanitaire. A côté de l’Italie (qui dirige) 7 autres pays participent à la force: la Grèce, l’Espagne, la Turquie, la Roumanie, la France, l’Autriche et le Danemark. Le bataillon grec est formé d’officiers de métier enrôlés pour 5 ans. On entend dire que la formation de ce bataillon a été très difficile, parce que les officiers n’étaient pas volontaires et qu’il a fallu les forcer. La police militaire secrète italienne fait un tour dans le pays pour faciliter les choses aux soldats italiens. Elle cherche à savoir comment les rebelles sont disposés envers les italiens après que les garde-côte italiens aient coulé un bateau albanais, tuant 80 réfugiés.

Un navire chargé d’une centaine de membres du SHIK est arrivé à Brindisi pour contrôler de près les mouvements des réfugiés albanais.

15.04.97- Début de l’opération Alba. Les 6.000 soldats des forces multinationales débarquent dans les ports de Durrës et de Vlorë. Un cargo affrété par le programme alimentaire mondial décharge 360 tonnes de farine et 36 tonnes de légumineuses.

A Tirana, la situation redevient normale pour le capitalisme: les journaux reparaissent normalement, les échoppes sont approvisionnées, la circulation est dense.

17-20.4.97 – L’intervention militaire internationale – opération Alba – rencontre ses premières difficultés. Vlores est considérée comme « non sûre » et la situation y est « incontrôlée ». Lors d’un grand meeting à Vlores – en présence de Fino et Pronti – les slogans contre Berisha et pour le remboursement de l’argent sont prédominants. Cela n’indique pas un climat de conciliation qui mènerait au désarmement.

Le SHIK arrive à récolter quelques armes à Korca et Berat, qui de toute façon n’avaient pas été les plus ardentes dans la révolte. Berisha lui-même est au plus fort depuis le début de la rébellion. Il participe aux négociations officielles, et demandent sans arrêt à la force multinationale de désarmer « les criminels du Sud ».

25.4.97 – Au cours d’une de ses réunions, le « Comité de Salut National  » accuse Berisha et ses partisans extrémistes du Parti Démocratique de saboter le travail du gouvernement (non-paiement des salaires mensuels des flics, retard dans le versement des retraites, etc.). Il exprime son soutien non seulement au gouvernement, mais aussi à la force multinationale aussi longtemps qu’elle respecte sa mission officielle. Il demande aussi à tous les comités de tâcher de réorganiser les autorités locales. Mais, à part ses résolutions réactionnaires, il répète également que son objectif est la chute de Berisha et le remboursement de l’argent volé. Pour finir, il confirme qu’il ne se dissoudra pas tant que le nouveau gouvernement ne garantira pas le remboursement complet de l’argent.

1.05.97/07.05.97- La police réapparaît dans les rues de Shkoder, Berat, Burrel, Kukes, Kruje. Mais les institutions de la Justice ne sont pas opérationnelles: des postes de police, des prisons, des tribunaux,… il ne reste rien. Avant de quitter les bâtiments, les prisonniers évadés ont pris soin de faire brûler leur dossier puis d’incendier les bâtiments eux-mêmes,… Quelques jours auparavant, on pouvait lire dans la presse: « Le chef de l’administration pénitentiaire en Albanie a annoncé hier que le pays n’avait plus que 27 prisonniers en prison contre 1.300 qui s’y trouvaient avant la fuite massive d’inculpés le 13 mars passé. Sur ces 27 prisonniers, 9 sont rentrés en cellule de leur propre gré. »

9-10.5.97 – La force multinationale s’installe sans réaction des gens. A Vlores, en contradiction avec ce qu’il avait récemment décidé par rapport au statut de la force, le comité demande aux soldats grecs et italiens de patrouiller dans les rues pour que les écoles puissent ouvrir. De façon générale, les soldats se comportent très prudemment, évitent toute provocation. Les gens, en particulier les jeunes rebelles armés, sont plutôt suspicieux à leur égard. Berisha, sentant revenir ses forces, confisque « Koha Jones », principal journal de l’opposition. Et il continue à réclamer le démantèlement des comités et le désarmement du peuple.

11.5.97 – Les partis politiques s’accordent pour fixer la date des élections au 29 juin. (…) L’envoyé européen Vranitzki a joué un rôle important dans ce compromis. Il a rappelé aux politiciens qu’un report de la date n’inciterait pas la « communauté internationale » à donner une aide financière – autrement dit, le capitalisme a besoin de gouvernements stables et de travailleurs désarmés. Dans un message en forme d’ultimatum, le Parti Démocratique et 9 autres partis demandent que les comités soient dissous le 14 mai, ce qui resta sans effet puisque les comités avaient déjà fixé une réunion pour le 16 mai. Mais à Vlores, dans leurs rencontres quotidiennes, les gens étaient indignés et considéraient cette décision des partis comme une trahison. Les sections locales des partis dans le Sud ont cessé de soutenir les comités, et elles demandent même l’envoi de forces spéciales à Vlores sous le prétexte de lutter contre la « guerre des gangs ». Les rebelles ripostent en commençant à bloquer les entrée de la ville, ce qui se révèle assez efficace. Dans un incident de la soi=disant guerre des gangs mafieux, une voiture est incendiée, dans laquelle on trouve un agent du SHIK.

14-22.5.97 – Les comités tiennent une réunion le 16 mai à Vlores. L’ultimatum des partis est ignoré, comme prévu, et personne ne parle de désarmement. Avec le temps qui passe, le problème de la survie dans le Sud fait sentir son effet sur l’avenir de la rébellion : jusqu’à 12.000 jeunes émigrent en Italie. Beaucoup d’entre eux étaient au coeur de la rébellion. De son côté, Berisha commence sa campagne électorale à Kavaje, ville que son parti contrôle entièrement. (…)

Les partis de l’opposition menacent de boycotter les élections décidées pour le 29 juin 1997. Ils remettent en question la loi électorale prévoyant un mode de scrutin majoritaire.

4.3.97- Le président Sali Berisha échappe à une tentative d’attentat lors d’un meeting électoral du Parti Démocratique, à trois semaines des élections législatives anticipées prévues pour le 29 juin 1997. Cet événement illustre la tension qui règne encore dans le pays malgré les promesses électorales.

A de rares exceptions près, personne n’a rendu les armes dérobées lors du pillage des casernes. L’état d’urgence et le couvre-feu sont toujours en vigueur.

18-25.6.97nouvelles attaques contre la force multinationale, probablement venant des hommes de Berisha. Le gouvernement grec soutient ouvertement la campagne du Parti Socialiste, y compris en Grèce parmi les émigrés albanais, qui pour la plupart viennent du Sud de l’Albanie

27.06.97- Parti de Tirana, un convoi d’observateurs internationaux escorté par des soldats italiens et roumains progresse vers la pointe sud-ouest jusqu’à Gjirokaster, passant par Memaliaj, Tepelenë,… localités qui, en mars, étaient toutes gagnées par le mouvement insurrectionnel notamment marqué par le pillage des casernes et l’armement généralisé du prolétariat. Les prolétaires saluent le passage des chars par des insultes mais la caravane passe sans problème. Cet exemple démontre l’état général de la lutte à ce moment: décomposition de la force insurrectionnelle, haine des nouvelles propositions pour instaurer l’ordre mais prédominance de l’impuissance,… la résignation refait son apparition.

A deux jours des élections législatives anticipées prévues pour le dimanche 29 juin, les observateurs estiment que les conditions à la tenue d’un scrutin libre et démocratique ne sont pas réunies. Mais le 29 juin, la bourgeoisie peut enfin saluer en Albanie l’effectif « passage salutaire par l’isoloir » qui, à Bucarest comme à Sofia, avait permis cette soudaine « métamorphose » du danger de la révolution en civique défilé obéissant au dépeçage démocratique.

29-30.6.97Les élections donnent une large majorité aux socialistes. Les proches partisans de Berisha commencent à partir à l’étranger. Berisha lui-même annonce qu’il démissionnera après le deuxième tour des élections. Omonia, l’organisation de la minorité grecque dans le Sud est sévèrement battue. C’est notamment l’effet de sa corruption notoire dans le traitement des problèmes des émigrés.

23.7.97- Quelques mois après avoir été réélu pour un second mandat présidentiel, Sali Berisha adresse une lettre de démission de la présidence de la république albanaise qu’il occupait depuis cinq ans. C’est ainsi que s’accomplit le spectacle de la réconciliation nationale. Dernier acte programmé par l’opposition pour faire admettre aux insurgés de rendre les armes. Le but –« stabiliser la situation, restaurer l’autorité bafouée de l’Etat, rendre une légitimité perdue au futur gouvernement et favoriser un indispensable climat de réconciliation nationale »– devrait enfin être atteint.

12.7.97- les six mille hommes de la « force multinationale de protection » quittent l’Albanie.

Mars – Mai 98 –Le gouvernement a promis que, en principe en mars, un an après l’insurrection, il rendrait l’argent volé par les banques. Mais une société étrangère, chargée par Nanon d’enquêter sur la fraude, fait savoir que « malheureusement » ces banques ne peuvent rembourser que 15% du capital initial des gens. De nouvelles promesses suivent ce résultat décevant, par exemple celle d’une loi de compensation. Cette tactique de toujours reporter le moment du remboursement semble marcher. Il n’empêche qu’un projet de nouvelles privatisations se met en place dans l’espoir de vendre aux étrangers ce qui reste : les télécoms, les mines de chrome et de cuivre, et le pétrole. Attirer des investisseurs dans un pays où les prolétaires ont récemment fait preuve d’un comportement aussi insolent et hostile envers eux n’est pas une tâche aisée. Le gouvernement passe en urgence des lois pour protéger les investissements étrangers. Il envisage même de créer un service de garantie des investissements sous les auspices de la Banque Mondiale. Ce service rembourserait 100% des pertes subies pour fait de guerre ou de crise politique. On voit clairement ce que le gouvernement a en tête, et de quoi il a peur. Ce qui n’est pas clair, c’est de savoir dans quelle mesure cette peur sera confirmée à l’avenir.

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